La gauche, les Vert-e-s et les syndicats s’opposent à cette réforme de l’AVS. Quelles en sont les raisons ?
Amanda Ioset En préambule, je dirai que si les sondages semblent nous être défavorables, il faut rappeler que nous sommes en début de période de vote. Il vaut la peine de se battre et d’intensifier notre campagne. Dans un discours catastrophiste, la droite et le Conseil fédéral présentent cette réforme comme nécessaire pour stabiliser l’AVS. En réalité, elle est la première étape d’un démantèlement de notre prévoyance et se fait tout d’abord sur le dos des femmes, avec le relèvement de l’âge de leur retraite à 65 ans. Pourtant, le peuple avait refusé cette proposition en 2017. Avec cet allongement de la durée de cotisations, elles perdront globalement 1’200 francs par année sur le total des rentes et partiront à la retraite une année plus tard, ce qui est inacceptable. La droite parle d’égalité, alors qu’elle est peu pressée de s’attaquer aux inégalités salariales, à la violence domestique ou à la question du travail non rémunéré dans la sphère privée.
Aujourd’hui, le système de retraite est discriminatoire et les femmes partent à la retraite avec des rentes AVS moyennes qui se montent à environ 1’700 francs par mois. Sur l’ensemble des trois piliers, elles touchent en moyenne 37 % de moins que les hommes et près d’un tiers des femmes n’ont pas de rente du 2e pilier. Il faudrait régler ces questions avant tout. Rien qu’en supprimant l’inégalité salariale en défaveur des femmes, on règlerait la question du financement de l’AVS car les cotisations augmenteraient.
Quels sont les autres problèmes de cette réforme ?
Outre ces attaques, AVS 21 veut introduire plus de flexibilité dans l’âge de départ à la retraite, en introduction la notion « d’âge de référence » de départ entre 63 et 70 ans. Et cela concerne tout le monde, hommes et femmes. Le discours néolibéral prétend que cela apportera plus de liberté individuelle dans la prévoyance, mais il est clair que seule une minorité de personnes, qui gagnent très bien leur vie, pourra partir plus tôt à la retraite tandis que la majorité des seniors devra travailler au-delà de 65 ans.
Il s’agit de la première étape d’un programme qui vise à repousser l’âge de la retraite pour tous comme l’atteste l’initiative des Jeunes PLR, qui le fixe à 66 ans et veut le rendre tributaire de « l’évolution de l’espérance de vie ». Toute la droite annonce déjà que la prochaine réforme de l’AVS devra aussi aller dans ce sens. On retrouve cette volonté de s’en prendre aux retraites dans la future réforme du 2e pilier, qui veut baisser les rentes par la réduction du taux de conversion LPP. Cette technique de saucissonnage attaque nos acquis sociaux, alors que les travailleurs ont droit à un repos après une existence de labeur.
Il faut aussi relever ce paradoxe de vouloir repousser l’âge de la retraite alors que les études statistiques montrent que les personnes de plus de 50 ans sont davantage touchées par le chômage de longue durée ou que le taux d’inactivité des 60-64 ans est plus élevé que pour les autres tranches d’âge.
La réforme prévoit aussi des mesures compensatoires. Votre avis ?
Pour faire passer cette réforme, la droite a fait miroiter ces compensations, mais elles ne concerneront qu’une génération de femmes. Les exemples sont parlants. Une femme, née en 1964 et gagnant 50’000 francs par an, verra sa retraite augmenter de 160 francs par mois, celles nées en 1969, ne toucheront que 40 francs supplémentaires. Et pour toutes les femmes plus jeunes, il n’y a aura aucune compensation. Sur l’ensemble des trois piliers, les femmes touchent en moyenne 37 % de moins que les hommes
Le peuple se prononcer aussi sur une hausse de la TVA, qui, en cas de refus, fera capoter la réforme AVS 21. Que pensez-vous de ce financement ?
L’augmentation de la TVA à elle seule réduira à néant les compensations prévues. De plus, cette taxe est l’impôt le plus anti-social qui soit, car il frappe en premier lieu le pouvoir d’achat des plus modestes et n’affecte pas les gros revenus. Il faut aussi dénoncer le discours alarmiste de la droite sur l’état financier de l’AVS. En 2011, on annonçait un déficit de 1,5 milliard en 2020, mais à cette date, elle a fait un bénéfice de 500 millions et de 1 milliard en 2021, tout en ayant une fortune de 50 milliards, soit un montant plus élevé que toutes les rentes versées en une année.
A terme, le problème de l’AVS est bien plutôt de relever le montant des rentes, car celles-ci, même en cas de rente maximale, ne respectent pas le mandat constitutionnel, qui spécifie qu’elles doivent couvrir les besoins vitaux. Même l’initiative de l’USS pour une 13e rente AVS ne changerait pas la donne. Il faudrait au minimum les indexer au renchérissement du coût de la vie. Sinon de plus en plus de retraités devront se tourner vers les prestations complémentaires (PC).
Contrairement à l’AVS, qui est un droit fondé sur un système de répartition, les PC sont des prestations sous condition de ressources et sont tributaires des cantons. Pour assurer de meilleures rentes, il faudrait augmenter les salaires pour augmenter le montant global des cotisations. Face au vieillissement de la population, une hausse légère du taux de cotisation serait envisageable, du fait qu’elle prétérite moins les bas salaires que ceux qui ont des hauts revenus.
Quelles sont alors vos contre-propositions à la réforme AVS 21 ?
En premier lieu, j’aimerais dire que l’idée de financer l’AVS par les bénéfices de la BNS va dans le mauvais sens, du fait que la fortune de la Banque nationale est fortement tributaire des aléas économiques, comme le montre la perte de 95,2 milliards de francs au premier semestre 2022 de l’institution. Financer l’AVS avec l’argent de la BNS signifie rendre cette assurance sociale dépendante de la spéculation financière mondiale ! Il faut aussi admettre que la gestion du 2e pilier, qui gère une masse de mille milliards de francs, coûte cher et présente des rendements peu sûrs, du fait qu’ils sont dépendants des marchés financiers.
A terme, nous proposons de passer du système actuel de 3 piliers, profondément inégalitaire, à un régime entièrement à répartition, avec une AVS renforcée, quitte à fusionner le 2e pilier dans le premier, pour permettre d’offrir des rentes décentes à tous. Cette fusion impliquerait une période de transition entre les deux systèmes, jusqu’à l’extinction du principe des cotisations individuelles LPP.
Contrairement aux discours qui mettent en concurrence les générations, les femmes contre les hommes, ceux qui travaillent et ceux qui sont hors du salariat, il est finalement important de réaffirmer des principes de solidarité entre les personnes pour faire société.
Propos recueillis par Joël Depommier