Chauffeurs et chauffeuses Uber en lutte 

Travail • Alors qu’on pouvait se féliciter de la décision du Tribunal fédéral, dont la reconnaissance du statut de salarié des chauffeurs et chauffeuses Uber donnait un signal important contre le démantèlement de nos acquis sociaux, la lutte des chauffeurs ne faisait que commencer. (Par Anne Fritz)

Ailleurs qu’à Genève, les intérêts des chaffeurs attendent d’être défendus. (Crédit : itchaznong)

Ne disposant pas d’une autorisation d’exercer à titre « d’entreprise de transport », l’employeuse Uber a suspendu son activité à Genève dès le 4 juin. Alors qu’elle avait eu tout son temps pour se préparer à l’issue de la procédure au TF qui aura duré deux ans et demi, la multinationale laisse les chauffeurs du jour au lendemain sans revenu et dans un flou absolu.

Tandis que le syndicat genevois SIT convoque une première Assemblée générale, on apprend par voie de communiqué de presse que, le 10 juin, le Département de l’économie et de l’emploi (DEE) avait signé un accord permettant à Uber de reprendre son activité. Le contenu de cet accord, négocié derrière le dos des chauffeurs, les inquiète, puisqu’il ne contient aucun réel engagement concret de la part d’Uber.

Transfert et licenciements

Uber persiste à ne pas vouloir elle-même salarier ses chauffeurs. Informés par simple e-mail de leur transfert vers la société MITC Mobility, ils n’ont pas leur mot à dire sur les conditions de travail que propose cette société, et ceux qui refusent d’être transférés doivent être considérés comme licenciés. Organisés par le syndicat SIT, les chauffeurs revendiquent alors l’ouverture d’un processus de consultation, le paiement des salaires malgré l’empêchement de travailler, et le versement du rétroactif de salaires et d’indemnités pour frais professionnels dus aux chauffeurs depuis le début de leur collaboration avec Uber. Restant sans réponse, le SIT sollicite alors Fabienne Fischer, conseillère d’État en charge du Département de l’économie et de l’emploi, afin qu’elle réunisse très rapidement les parties.Plutôt que de recevoir les parties, Mme Fischer saisit la Chambre des relations collectives de travail (CRCT) de l’affaire. Cette saisine empêche les chauffeurs d’exercer pleinement leurs droits syndicaux puisque les parties convoquées sont contraintes à renoncer à toute mesure de lutte durant la procédure, et elle donne un signal politique désastreux de désengagement de l’État dans le règlement de cette situation.

La conciliation échoue mi-juillet, ce qui était prévisible. En autorisant la reprise d’activité d’Uber, sans rien régler des conditions de travail et du mode de calcul des arriérés, le DEE s’était privé d’un levier pour garantir le respect effectif du cadre légal.

Le couteau sous la gorge

Plusieurs centaines de chauffeurs n’ont alors rien touché depuis le 4 juin, à part quelques miettes qu’Uber leur a versées pour la période de suspension d’activité, bien inférieures à la perte réelle de revenu. Certains, faute de revenu, ont dû se séparer de leur véhicule et se trouvent donc dans l’incapacité de reprendre le travail. Beaucoup se tiennent à disposition d’Uber, mais refusent de faire des courses pour MITC jusqu’à clarification des nouvelles conditions de travail. Une minorité signe les nouveaux contrats. Lors du premier versement des salaires par le nouveau partenaire, les montants touchés sont si bas qu’ils couvrent à peine les frais professionnels.

Sur le fond, rien n’a changé. En ne rémunérant que le temps de courses, MITC fait perdurer le « modèle Uber » consistant à reporter le risque d’entreprise sur le dos des salariés. La prise en compte des frais professionnels n’est pas garantie et le mode de calcul du salaire réduit la part assurée de ce dernier. Uber continue à empocher sa commission habituelle de 25 % sur le chiffre d’affaires.

Avancées concrètes

Enfin libérés de l’interdiction de mesures de lutte qu’impliquait la procédure devant la CRCT, les chauffeurs manifestent pour demander l’ouverture de négociations tripartites. D’abord sans réponse, car la magistrate est en vacances, ce n’est que grâce à la détermination des chauffeurs, soutenus par leurs syndicats, qu’enfin leurs revendications sont entendues. Les négociations sont entamées fin juillet. Uber accepte de verser aux chauffeurs une indemnité forfaitaire plus substantielle que celle versée début juillet, qui leur permettra de mieux faire face à une situation économique qui reste extrêmement précaire. Une commission tripartite est mise en place pour régler le calcul des arriérés. Puis il s’agira de négocier les nouvelles conditions de travail dans une deuxième commission.

Et dans le reste de la Suisse ?

Ailleurs, rien ne bouge sur le terrain. Les solutions négociées à Genève ne seront pourtant pas transposables sans résistance de la part d’Uber. Il n’y a donc pas de temps à perdre pour organiser et informer les chauffeurs de leurs droits, afin de rendre possible une meilleure défense de leurs intérêts et pour qu’ils aient leur mot à dire dans les décisions sur les modalités de mise en conformité d’Uber.

Anne Fritz, secrétaire syndicale SIT