Un an de guerre en Ukraine et l’industrie de l’armement est gagnante

Economie • Les entreprises d'armement ont connu l'une de leurs meilleures années en bourse et prévoient de fortes augmentations de leurs ventes en 2023. (Par Yago Álvarez Barba, paru dans El Salto)

Les actions de Rheinmetall,, producteur de chars Leopard sont à la hausse. (Fric.matej)

Celui qui a dit que «dans les guerres tout le monde perd» n’avait pas jeté un coup d’œil à la bourse. Certains utilisent l’euphémisme «entreprises cycliques» pour désigner les secteurs qui gagnent plus d’argent lorsqu’il y a une guerre quelque part dans le monde. Comme s’il allait de soi que les guerres sont cycliques dans le temps, justifiant ainsi qu’il y a des actionnaires qui s’en mettent plein les poches tant que la tuerie dure et qu’il est normal que le cours des actions augmente quand il y a plus de morts.

Les appels aux pays de l’OTAN pour qu’ils portent leurs dépenses de défense à 2% de leurs PIB respectifs se sont multipliés ces dernières années. Les États-Unis, où se trouvent les principales entreprises d’armement du monde, ont insisté sur la nécessité de construire et d’acheter davantage d’armes, même s’il n’y avait pas de conflits majeurs pour lesquels les dépenser. De nombreux pays et courants politiques ont résisté à l’augmentation des dépenses militaires à de tels niveaux du PIB. Mais le jour où est arrivée cette guerre qui ne semblait jamais devoir éclater et que la Russie a envahi l’Ukraine, tout a changé. Les gouvernements de toutes les couleurs ont commencé à approuver des augmentations de leurs budgets de défense et les cours des actions des principales entreprises d’armement du monde ont explosé.

Certaines de ces entreprises n’ont connu de forts mouvements à la hausse qu’au cours de la première semaine de la guerre, d’autres n’ont pas cessé d’augmenter depuis. D’autres montent en flèche lorsque l’un de leurs produits phares commence à faire les gros titres et à faire parler de lui dans les milieux politiques, comme dans le cas du fabricant de chars Léopard. D’autres graphiques du cours des actions de certaines entreprises sont liés à certaines des phases de la guerre. Quand il y avait un air de paix, un rapprochement ou une négociation susceptible de mettre fin à la guerre, le cours des actions chutait. Si Poutine bombardait à nouveau violemment une zone, que Zelensky demandait plus d’armes et qu’un gouvernement déclarait qu’il en enverrait davantage, la courbe du graphique s’envolait alors.

Les entreprises américaines

Les États-Unis sont l’un des plus grands gagnants d’un point de vue économique. Outre les bénéfices qu’ils tirent de la vente de gaz liquéfié à prix élevé aux pays de l’UE, une autre de leurs principales industries d’exportation fait des profits. La plus grande entreprise d’armement du monde, Lockheed Martin, a vu ses actions augmenter de 23,3% au cours de l’année écoulée. Au cours de la première semaine, elle a connu une hausse de près de 20%, puis a connu de petits hauts et bas tout au long de l’année, en maintenant un ton haussier. Cela signifie que la valeur de l’entreprise a augmenté d’environ 24 milliards de dollars en un an.

Northrop Grumman, un autre conglomérat américain de navires de guerre et le quatrième plus grand entrepreneur de défense militaire des États-Unis, a également augmenté de 23,3%, malgré une baisse au cours du dernier mois et demi. En d’autres termes, sa valeur a augmenté de près de 23 milliards d’euros.

Entreprises européennes et britanniques

L’entreprise britannique BAE Systems est le deuxième plus grand entrepreneur militaire du monde et le sixième plus grand fabricant d’armes internstional. Elle construit et vend des Eurofighters, des chars de combat, des véhicules blindés et des destroyers anti-aériens, entre autres produits de guerre. La société britannique est également le fabricant des chars Challenger 2 que le Royaume-Uni a promis d’envoyer en Ukraine. L’entreprise a vu sa valeur boursière augmenter de 49,4% depuis le début de l’invasion de l’Ukraine. En d’autres termes, l’entreprise vaut 9,2 milliards de plus qu’avant que les bombes ne commencent à tuer des civils et des soldats ukrainiens.

L’entreprise française Thales, spécialisée dans le développement de systèmes informatiques et d’autres services liés à la défense, a vu ses actions grimper de 55,6% depuis le 24 février. La valeur de l’entreprise a ainsi augmenté de près de 10 milliards d’euros. L’entreprise française est à l’origine d’un système de missiles qui peut être porté sur les épaules des soldats et que l’armée ukrainienne utilise pour se défendre contre les chars russes.

Une autre entreprise française, Safran, a progressé de 19,8% au cours de la même année. Encore 9 milliards de plus de valeur pour ses actionnaires.

Les chars Leopard cartonnent en bourse

Mais l’un des principaux gagnants a sans aucun doute été le fabricant de l’un des produits de guerre qui fait le plus parler ces derniers temps, les chars Léopard. L’entreprise allemande Rheinmetall, fabricant de ces engins très recherchés, a augmenté sa valorisation de 151,5% en un an. Mais ses résultats pour 2022 sont presque plus spectaculaires. L’entreprise a triplé son bénéfice de 2021 pour atteindre 10,7 milliards de dollars. Et il ne semble pas que les choses vont se calmer au vu des ventes et des prévisions pour la période actuelle. L’entreprise a vu ses commandes en 2022 doubler et prévoit une augmentation allant jusqu’à 40% en 2023.

Ces prévisions de ventes sont conformes à  celles de nombreuses entreprises du secteur. «Les commandes ne visent pas seulement à être envoyées directement en Ukraine», explique à El Salto Jordi Calvo, chercheur spécialisé dans la paix, les conflits, la sécurité et le désarmement au Centre Delàs, «mais aussi à remplir les arsenaux des propres pays parce qu’ils se vident». Il cite en exemple le cas des munitions et la difficulté pour ces entreprises de maintenir l’approvisionnement «car en Ukraine, om dépense en quelques jours ce qu’on produit en plusieurs mois».

Selon Calvo, depuis le début de la guerre en Ukraine, on peut observer que le secteur de l’armement a des attentes qui amènent les entreprises à envisager de gros investissements afin d’augmenter leurs capacités de production. «Elles ne le font pas seulement parce que les dépenses vont augmenter, ce qui est aussi le cas, mais parce qu’elles sont certaines de pouvoir récupérer l’investissement qu’elles font actuellement», dit-il.

L’Espagne augmente ses exportations

Le vendredi 27 janvier, le secrétaire d’État au commerce a publié le rapport sur les statistiques des exportations de matériel de défense et à double usage pour le premier semestre 2022. Le Centre Delàs a analysé les données sur les exportations et les importations pour mettre en évidence les exportations d’armes vers l’Ukraine. Au total, au cours de ce semestre, le gouvernement a autorisé des exportations d’armes vers l’Ukraine pour une valeur de 209,7 millions d’euros et en a exporté 18,3 millions d’euros.

Ces exportations vont augmenter, selon les données fournies par le Centre Delás, non seulement parce que le matériel autorisé est supérieur à celui exporté, mais aussi en raison de la durée de la guerre elle-même. «Au fur et à mesure que la guerre se prolonge, les exportations de matériel militaire augmenteront et tout semble indiquer qu’elles seront étendues à d’autres catégories de matériel lourd et offensif, comme les chars Leopard récemment annoncés», indique l’organisation.

«Le complexe militaro-industriel sera le seul à tirer profit de cette guerre», regrette Calvo, «ce que nous soupçonnions ou craignions est en train de se produire». Pour le chercheur spécialisé dans la paix et le désarmement, cette guerre et ces bénéfices représentent un retour en arrière. «Cela pourrait rendre plus difficile pour nous de changer l’échiquier et ce discours selon lequel les guerres doivent être gagnées par les armes au lieu de la paix. Celle-ci n’inclut pas d’affaires ou de perspectives d’affaires dans le futur», conclut Calvo.

www.elsaltodiario.com/guerra-en-ucrania/un-ano-invasion-rusia-industria-armamentistica-va-ganando

Plus d’information sur le centre le Paix de Delas:  www.centredelas.org