«Le nucléaire n’est pas la priorité»

Energie • Valérie Bourdin est porte-parole de l’Association des entreprises électriques suisses (AES), qui compte quelque 400 membres, regroupant bon nombres de PME, les mastodontes Alpiq, Axpo et BKW, ou encore Swissgrid, responsable de la gestion du réseau de transport d’électricité dans notre pays. Entretien.

En 2017, les Suisses ont approuvé la sortie du nucléaire. (DR)

L’initiative « Stop Black Out », lancée par des membres du Centre, de l’UDC et du PLR visant à relancer la production nucléaire a récolté 100’000 signatures. Le peuple revotera donc vraisemblablement sur cette question. Craignez-vous cette votation ?

Valérie Bourdin La Stratégie énergétique votée en 2017 comprend le développement des énergies renouvelables, l’augmentation de l’efficacité énergétique et la sortie du nucléaire. L’acte modificateur unique des lois sur l’énergie et sur l’approvisionnement en électricité vient d’être adopté par le Parlement. Il s’agit d’un grand pas en avant pour couvrir les besoins en énergies renouvelables d’ici 2050 d’une Suisse climatiquement neutre. Si le peuple changeait d’avis lors d’une nouvelle votation, nous ferions en fonction. Mais un sondage auprès de la population, mené avec Gfs Berne en mai dernier, nous confirme qu’il y a un net soutien envers les énergies renouvelables et que le nucléaire n’a pas sa place dans le futur système énergétique. Seulement 35 % des sondés seraient en faveur du développement d’une nouvelle centrale nucléaire plutôt que d’innombrables nouvelles centrales renouvelables.

Ce sont tout de même des chiffres importants. Et aujourd’hui, une partie du PLR rejoint l’UDC pour une relance du nucléaire. Cela pourrait-il changer la donne ?

L’AES est complètement ouverte au développement technologique, et si une nouvelle technologie devait être disponible, nous l’examinerions bien entendu. Même si le peuple changeait d’avis, encore faudrait-il traverser tout le processus législatif. Toujours est-il que de nouvelles technologies, telles qu’envisageables en Suisse, ne devraient pas être disponibles à moyen ou long terme. Il ne faut donc pas perdre de temps actuellement dans des discussions, le temps est aujourd’hui au développement impératif des énergies renouvelables.
Bien sûr, nous sommes reconnaissants de pouvoir compter encore quelque temps sur les centrales actuellement en fonctionnement, afin de nous permettre d’effectuer la transition énergétique en douceur. Ce n’est ni la politique ni l’économie qui décidera de leur durée de vie, mais bien l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) et les entreprises propriétaires des centrales selon les enjeux d’économicité des travaux éventuellement nécessaires.

Passer au renouvelable est-il plus intéressant en termes d’investissements pour les entreprises électriques ?

Une chose est sûre, le peuple a décidé la transition énergétique et la branche électrique s’applique à la mise en œuvre. Des investissements astronomiques sont prévus pour assurer notre sécurité d’approvisionnement hivernal en électricité.
Le plus grand défi se situe au niveau des procédures et de l’acceptation. A ce jour, il faut compter 15 à 20 ans pour l’entrée en fonction d’une nouvelle installation renouvelable. C’est beaucoup trop long. Notre pays ne peut plus se permettre de tels délais et il est urgent d’accélérer les procédures dans la pesée des intérêts.

La votation de 2017 avait également assoupli certaines conditions concernant la protection du paysage en faveur de l’installation d’infrastructures renouvelables. La votation récente en Valais a montré un certain désaccord à ce propos. Quelle est la position de l’AES ?

Notre équation est simple : le renouvelable bénéficie au climat et donc à la biodiversité. D’ici 2050, il n’y aura pas de décarbonation sans électrification. Pour baisser la consommation énergétique, il faut augmenter la consommation électrique et les économies d’énergie. Parfois, il faut savoir reculer d’un pas pour pouvoir avancer. J’aime prendre l’exemple du lac de Gruyère : c’est un haut-lieu de la biodiversité, alors que c’est le lac de retenu du barrage de Rossens.

Mais le fait que des votes populaires bloquent l’accélération de l’installation de certaines infrastructures renouvelables pourrait poser problème, n’est-ce pas ?

La situation peut être résumée simplement : si, dans la pesée des intérêts, on ne considère pas la sécurité d’approvisionnement comme l’intérêt national, l’épée de Damoclès de la pénurie d’énergie pèsera sur nous. Cela équivaudrait à des milliards de pertes pour l’économie, une diminution du confort pour la société et de grandes incertitudes. En cas de blocages répétés, nous ne réussirons pas la transition énergétique. Finalement, le seuil de tolérance à la douleur de notre population deviendrait l’élément décisif pour que les changements nécessaires soient effectués.

D’après vous, la Suisse sera de plus en plus tributaire des importations d’énergie européennes, particulièrement en hiver. N’est-ce pas un problème ?

Bien que notre goulet d’étranglement énergétique se situe sur la période hivernale, la Suisse est exportatrice nette le reste de l’année. Nous aurons effectivement besoin de plus d’électricité à l’avenir. La quantité que nous devrons importer sera déterminée par le développement de notre production indigène d’énergies renouvelables, avec un accent particulier sur la production d’électricité hivernale. Et nous espérons pouvoir compter sur la collaboration avec nos pays voisins.

Pour développer les importations européennes, il semble qu’une plus grande libéralisation du marché soit nécessaire pour les petits consommateurs, ce que l’on peut craindre, n’est-ce pas ?

Actuellement, des discussions ont lieu avec l’Union européenne pour relancer un accord. Dans ce cadre, la libéralisation du marché de l’électricité pourrait être une condition.

L’augmentation annoncée de 18 % des prix de l’électricité pour 2024 fait grincer des dents, surtout quand des acteurs de la branche engrangent des bénéfices importants aujourd’hui. Votre réponse ?

L’augmentation des prix de l’électricité s’explique par le cumul de la crise énergétique et de la sécheresse. En raison de cette dernière, certaines installations au fil de l’eau n’ont pas pu produire l’électricité attendue. Il a fallu s’approvisionner sur le marché quotidien, où le prix est déterminé par la dernière source énergétique disponible dont on a encore besoin pour couvrir la demande en électricité. L’hiver passé, les sources de productions moins chères ont été uniformisées au prix du gaz. Cela explique les bénéfices des entreprises qui ont vendu sur le marché de la production éolienne ou solaire. Si l’on met suffisamment en œuvre les économies d’énergie, cela nous permettrait de baisser notre consommation et d’activer une source d’énergie moins chère, de manière à faire baisser les prix sur le long terme.