Devant une salle bien remplie, l’avocat à l’Asloca Christian Dandrès, fraîchement réélu au Conseil national, explique pour quelle raison deux référendums doivent être signés en même temps. « C’est une fusée à deux étages contre laquelle les locataires suisses doivent se mobiliser, avec des textes qui visent à faciliter les résiliations du contrat par les bailleurs », a-t-il affirmé lors d’une soirée d’information organisée à Genève par l’Asloca et le Collectif des associations d’habitant·es et de quartier du canton à la mi-octobre. Le premier angle d’attaque du lobby immobilier au Parlement fédéral concerne la sous-location. Nombreuses sont les personnes en Suisse qui ne peuvent accéder au marché primaire du logement, faute de moyens, de pistons ou à cause de dettes rédhibitoires, et qui sont forcées de se tourner vers la sous-location.
Le premier texte de loi vise à permettre au bailleur de limiter ce contrat à deux ans seulement, avec l’obligation de lui envoyer une demande écrite avant de conclure une sous-location, au risque de voir le bail être résilié. Le deuxième volet concerne la possibilité pour le propriétaire de résilier le contrat en invoquant son besoin personnel. Actuellement, seul un besoin urgent et soudain donne la possibilité au propriétaire de récupérer son bien, après une séparation ou une perte d’emploi notamment ; ce cas d’« urgence » étant admis très restrictivement par le Tribunal fédéral aujourd’hui. Or, la deuxième loi cherche à supprimer cette condition et seul le « besoin important et actuel » du bailleur lui suffirait alors pour chasser le locataire en place, bien qu’il ait fait valoir ses droits. « Le but est de pouvoir mettre toujours plus la pression sur le locataire, ou d’avoir la possibilité le remplacer plus facilement par une personne en mesure de supporter des hausses de loyer », ajoute C.Dandrès.
Un mouvement à bâtir
Dans le contexte actuel, ces offensives peuvent sembler pour le moins risquées, voire curieuses de la part d’une bourgeoisie suisse expérimentée, car hégémonique depuis 175 ans au Parlement fédéral, et passée maître dans l’art d’anesthésier les soubresauts politiques et sociaux. Pour l’avocat, plusieurs éléments pourraient expliquer cette charge d’apparence grossière. D’abord, les enjeux économiques autour de la propriété foncière sont tels que le jeu en vaudrait la chandelle, en particulier depuis la modification légale de 2004 qui a ouvert le marché suisse des biens fonciers aux investisseurs étrangers dont le colosse BlackRock, friand d’actifs indispensables à la population comme l’eau, la santé ou… le logement.
L’avocat évoque aussi une vérité regrettable : la contestation qui naît de telles attaques antisociales est finalement trop souvent captée par l’UDC, depuis longtemps. Et ce malgré le fait que le parti soit complice du projet contre lequel l’Asloca riposte ; Hans Egloff, conseiller national UDC zurichois, étant notamment l’un de ceux qui portent ces textes. Quand les mécontents finissent dans les bras de leurs bourreaux, peu de raisons pour les milieux immobiliers de se sentir menacés. Et, de l’aveu de Christian Dandrès, l’Asloca Suisse ne leur fait pas assez peur non plus, malgré ses quelque 30’000 membres : « Bien que l’Association connaisse une certaine vigueur à Genève, Bâle-Ville ou encore Zurich, avec des mouvements de locataires organisés et une présence permanente sur le terrain, la résistance n’est pas la même dans la plupart des régions de Suisse alémanique ». Un mouvement à bâtir, donc, avec l’espoir de pouvoir un jour devenir une force plus offensive. Dans l’immédiat, l’intérêt des locataires se trouve dans la signature de ce double référendum, histoire d’envoyer un message clair avant la salve suivante.