Au Japon, un cinéma toujours passionnant

Livre • Un livre court et instructif retrace les différentes voies du cinéma nippon, notamment certains films de gauche de l'Après-guerre.

Images tirées du film "Front de libération du Japon - L'Été à Sanrizuka" de Shinsuke Ogawa, sur les luttes contre la construction du nouvel aéroport de Tokyo à Narita. (DR)

Voici un livre fort utile. En un peu moins de 200 pages, le critique et historien du cinéma, Max Tessier, et le docteur en histoire du cinéma, Frédéric Monvoisin, retracent près de 130 ans de cinéma japonais depuis 1886 jusqu’en 2018.

En dix chapitres, l’on suit cette filmographie découverte en Europe après la remise du Lion d’or de Venise en 1951 à Akira Kurosawa pour Rashomon, puis la Palme d’or au Festival de Cannes en 1953 au film La porte de l’enfer de Teinosuke Kinugasa. Du muet (1920-1935), où étincelle Une page de folie du même Kinugasa, à la création de grands studios (Nikkatsu, Shochiku ou Toho sur le modèle hollywoodien) et l’émergence d’un second Age d’or (1950-1959), suite à la censure des années de guerre, cette chronologie analyse brièvement les filmographies de nombre de cinéastes, à commencer par celle des grands maîtres classiques (Akira Kurosawa, Kenji Mizoguchi, Yasujiro Ozu, Mikio Naruse). Mais aussi celle de cinéastes moins connus comme Kon Ichikawa, auteur de deux films notoires sur la Guerre du Pacifique (Feux dans la plaine, dont un remake a été tourné en 2014 par Shin’ya Tsukamoto et La Harpe de Birmanie).

Le livre rappelle qu‘après-guerre l’influence du Pari communiste japonais (PCJ) et des syndicats est forte, ceci menant par exemple une grève au studio Toho en 1947-1948. Apparaissent ainsi des auteurs engagés comme Kozaburo Yoshimura (Les Habits de la vanité, Sur la terre, Debout les damnés de la terre), Kaneto Shindo (Les Loups, L’île nue primé au Festival international de Moscou en 1961, Vivre aujourd’hui, mourir demain) ou Satsuo Yamamoto (Zone de vide, Quartier sans soleil). L’opus fait aussi mention du cinéma de genre très populaire auprès de spectateurs comme les films historiques (jidai-geki, opposé aux films du monde actuel, gendai-geki) , notamment avec des films de combats de samouraïs (chanbara), les films de yakuza, qui seront sublimés par Seijun Suzuki (La marque du tueur, 1967), les films de fantômes ou de monstres (le fameux Godzilla)

Nouvelle vague

Dans le sillage de la nouvelle vague européenne apparaissent aux contours des années 60 de nouveaux cinéastes (le plus connu étant Nagisa Oshima, à côté de Kiju Yoshida, Masahiro Shinoda ou Masaki Kobayashi, auteur du monumental La condition de l’homme), mais aussi des auteurs gauchistes artisans  de «films d’intervention» comme Shinsuke Ogawa (Rapport sur la lutte à Haneda, Front de libération du Japon-L’Été à Sanrizuka) ou Noriaki Tscuchimoto, qui documente la pollution au mercure de Minamata dans l’île de Kyushu (Minamata, les victimes et leur monde, La Mer de Shiranui). Mention spéciale à Kojo Wakamatsu, passé d’œuvres érotiques «cheap» à une fresque mémorable sur l’Armée rouge japonaise des années 70 (United Red Army, 2007).

Le livre fixe la fin de cette nouvelle vague en 1973, avec le film Coup d’État de Yoshishige Yoshida, retraçant une tentative de putsch, qui eut lieu au Japon en février 1936 et menée par la faction ultra-nationaliste de l’Armée impériale japonaise.

Cette fin d’une époque marque aussi une crise du cinéma japonais, avec la disparition des majors ou la mainmise de la télévision sur la culture, avant l’apparition de nouveaux cinéastes comme Takeshi Kitano, Kohei Oguri ou la réapparition de Shohei Imamura (La Femme insecte, La Ballade de Narayama, Pluie noire, L’Anguille, Dr. Akagi, De l’eau tiède sous un pont rouge).

Les derniers chapitres sont consacrés aux cinéastes actuels, souvent primés dans les festivals comme Hirokazu Kore-Eda (After Life, Nobody Knows, Une affaire de famille), qui scrute le monde des enfants dans le cadre familial, Naomi Kawase (Les Lucioles, La Forêt de Mogari, Vers la lumière) ou les récents Hiroshi Kanno, qui observe les séquelles de l’accident nucléaire de Fukushima (Fukushima : une ville d’amour et d’espoir), Koji Fukada ou Katsuya Tomita, qui s’intéresse aux laissés pour compte de la société japonaise (Saudade). Sans oublier le prolifique, outrancier et polymorphe Takashi Miike (Audition, Dead or alive, 13 assassins, Blade of immortal)

Max Tessier et Frédéric Monvoisin, Le cinéma japonais, Armand Colin, Focus cinéma, 174 p, 2018


Beaucoup de films japonais, notamment muets sont disponibles en version gratuite anglaise sur le site https://archive.org/.

Pour des critique de bonne facture sur les rééditions de films, notamment japonais, voir https://www.dvdclassik.com/critique/le-repas-naruse