Ce comportement s’explique en partie par de grandes préoccupations publiques non résolues. Il s’agit notamment de la baisse du pouvoir d’achat de la majorité de la population européenne, des questions de sécurité et des solutions à la question complexe de l’immigration. Sans oublier les conséquences désastreuses de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Tout cela dans une Union qui semble désorientée – voire usée – dans sa propre identité en tant que l’un des pôles puissants du monde.
Les sondages précédents ne se sont pas trompés sur les résultats des élections législatives continentales: la droite conserve presque toute sa force, l’extrême droite fait un bond en avant, tandis que les libéraux, les socialistes, la gauche radicale et les verts tentent de relativiser la perte, mais sans masquer la chute.
Une fois les votes dépouillés, la radiographie électorale montre le large spectre de la droite (y compris les libéraux) et de l’extrême droite avec près de 400 députés sur un total de 720, ce qui représente un confortable 55%.
Quant aux forces progressistes (socialistes, écologistes, gauche radicale), elles n’obtiennent que 224 sièges, soit 31,11 % des voix. Le reste comprend des forces qui ne participent actuellement à aucun groupe parlementaire mais qui pourraient s’aligner à l’avenir et parmi lesquelles l’extrême droite l’emporte.
Dans ce scénario global, la question clé est de savoir si l’alliance actuelle des chrétiens-démocrates (centre-droit), des libéraux et des socialistes, c’est-à-dire les secteurs qui ont assuré la présidence de la chrétienne-démocrate allemande Ursula von de Leyen au cours des cinq dernières années, sera maintenue jusqu’à la fin du mois de mai. Ou bien, en corollaire des résultats des élections, il pourrait y avoir une réorganisation des alliances au sein du centre-droit, incorporant des secteurs de l’extrême-droite. L’actuel bloc dirigeant de l’UE se définit comme nettement pro-européen, alors qu’il existe des groupes eurosceptiques au sein de l’extrême droite montante, ce qui pourrait freiner cette hypothétique reformulation des alliances qui assurerait la gouvernabilité de l’Union.
Le scénario de la dixième législature qui s’ouvre va se préciser dans les cinq prochaines semaines, car le calendrier est très précis. Entre le 18 juin et le 4 juillet, les nouveaux groupes politiques du Parlement européen se formeront par affinités politiques et idéologiques. Le 16 juillet, le Parlement européen se réunira pour désigner ses dirigeants pour la première moitié des cinq prochaines années. Auparavant, les 27 et 28 juin, le sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’UE se tiendra pour convenir des noms des titulaires des postes les plus élevés à renouveler, y compris la présidence de la Commission européenne et du Conseil européen.
Tremblement de terre en France
Le Rassemblement national de Marine Le Pen et Jordan Bardella, avec plus de 31% des voix, a provoqué une véritable rupture politique en France, reléguant la force du président Emmanuel Macron à une lointaine deuxième place avec environ 14,50% des électeurs, à peine devant les socialistes qui ont atteint 13,80%.
Deux heures après la connaissance des résultats, le dimanche 9 juin, le président français a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale et la convocation d’élections législatives le 30 juin (premier tour) et le 7 juillet (second tour). « Dissolution, pari extrême », titrait lundi le quotidien français Libération. Le Figaro titrait quant à lui : « Désavoué (rejeté), Macron au pied du mur ». Le même jour, le quotidien espagnol El País parlait d’une « défaite humiliante » pour l’actuel président.
Depuis, les politiques et les médias analysent différentes hypothèses. Alors que pour certains dirigeants, notamment de droite et d’extrême droite, cette décision était la seule chance de Macron face à sa défaite électorale retentissante, les analystes politiques et les représentants des forces écologistes et progressistes soulignent le risque énorme que comporte cette dissolution. Si la tendance électorale actuelle se confirme, et s’il n’y a pas de changement significatif en politique intérieure, la France pourrait se réveiller le 8 juillet avec Jordan Bardella comme premier ministre d’extrême droite, qui cohabiterait pendant deux ans et demi, jusqu’aux prochaines élections présidentielles de 2027, avec Emmanuel Macron, qui resterait dans son rôle présidentiel.
Les candidatures unies de l’ensemble du spectre progressiste (socialistes, communistes, Verts et France Insoumise) pour les élections du 30 juin pourraient s’imposer dans ce scénario. Ces forces ont anticipé de manière consensuelle la formation d’un Front populaire le lundi 10 juin au soir. Tous ces secteurs additionnés – en prenant comme référence les résultats des élections européennes – partent avec un plancher de 30% de l’électorat, à quelques points derrière l’ensemble de l’ultra-droite unie, qui atteint près de 38% si l’on compte les pourcentages du Rassemblement national avec ceux du parti Reconquête d’Eric Zemmour.
Dans les heures qui viennent et dans une intense course contre la montre, puisque les candidatures doivent être enregistrées avant le vendredi 14 juin, il pourrait y avoir d’autres scénarios de recomposition des alliances et même une éventuelle « résurrection » macronienne très difficile (pour ne pas dire presque impossible) s’il parvient à recueillir des soutiens circonstanciels d’autres secteurs du centre et de la droite. Différents signes au cours des dernières heures indiquent qu’un groupe du Parti républicain (qui avec sa liste de droite a obtenu 7,24% des voix le 9 juin) serait plus enclin à négocier avec Marine Le Pen qu’avec Emmanuel Macron, ce qui pourrait être, si cela se confirme, un élément décisif dans le renforcement de la candidature de Bardella.
Quoi qu’il en soit, il est clair que le point de départ de toutes les hypothèses anti-Le Pen est une situation défensive. Depuis la fermeture des bureaux de vote dimanche dernier, le Rassemblement national (RN) est le grand vainqueur de l’offensive politique. Sans oublier d’ailleurs que c’est Jordan Bardella, tête de liste du RN aux élections européennes, bras droit de Marine Le Pen et jeune figure montante de l’extrême droite, qui a défié Emmanuel Macron de prendre la décision de dissoudre l’Assemblée nationale.
Un avenir incertain
L’analyse des dynamiques des quatre pays les plus peuplés de l’Union européenne (Allemagne, France, Italie et Espagne) et de leurs résultats électoraux permet d’avancer quelques hypothèses susceptibles d’influer sur la trajectoire à court terme de l’Union européenne.
L’axe France-Allemagne, qui constitue la colonne vertébrale de l’Union et la locomotive économico-financière du projet européen, a été fortement ébranlé par les élections du 9 juin. Le libéral Emmanuel Macro, condamné à une lointaine deuxième place dans son pays, et le chancelier allemand social-démocrate Olaf Scholz, relégué à la troisième place loin derrière les chrétiens-démocrates et deux points derrière l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) d’extrême droite, ont perdu de leur autorité dans le contexte national et européen. Les deux principaux leaders de l’actuel projet uni seront confrontés à très court terme à la nécessité de redéfinir les places, les rôles et les priorités politiques dans chacun de leurs pays à la suite des derniers résultats électoraux.
Ces derniers mois, les deux dirigeants se sont également définis comme deux des principaux piliers du soutien de l’UE à Volodimir Zelensky et à son action militaire. Depuis le début du conflit il y a 28 mois, son impact négatif sur la vie quotidienne de la population européenne a été significatif, avec sa crise énergétique, l’augmentation des prix de première nécessité, les tendances inflationnistes et l’agitation paysanne – face aux avantages accordés par l’UE aux produits agricoles ukrainiens – pour ne citer que quelques facettes de ce problème.
Ces dernières semaines, les deux pays ont annoncé à plusieurs reprises un soutien militaire de plusieurs millions de dollars à Kiev. Les deux pays ont même décidé d’autoriser l’utilisation d’armes offensives depuis l’Ukraine contre le territoire russe. M. Macron a même annoncé la possibilité d’envoyer des soldats français sur le champ de bataille, ce qui a suscité un profond malaise dans son pays et dans l’UE.
Les votes sanctions contre Macron et Scholz aux élections européennes pourraient également exprimer la lassitude d’une partie importante de l’électorat européen face au coût déjà astronomique de cette guerre. Et qui se multipliera encore dans la phase de reconstruction. Si les élections sont généralement considérées comme des plébiscites sur les politiques gouvernementales, en tout état de cause, ni Macron ni Scholz ne semblent avoir vu de résultats politiques positifs à la guerre en Ukraine.
Le week-end prochain, les 15 et 16 juin, le gouvernement suisse organise une conférence internationale sur le processus de paix en Ukraine au Bürgenstock, sur les bords du lac des Quatre-Cantons.
Bürgenstock, lac des Quatre-Cantons, une conférence internationale sur le processus de paix en Ukraine. Avec la promesse de la participation de représentants de haut niveau de 90 pays et organisations internationales, elle entend commencer à définir une feuille de route pour une solution pacifique. Bien que la non-invitation de la Russie conspire contre d’éventuels résultats concrets, cet espace international, auquel Emmanuel Macron et Olaf Scholz ont promis de participer, pourrait offrir une issue au projet le plus militariste soutenu par l’Union européenne. Macron et Scholz, ainsi que d’autres dirigeants européens, pourraient au Bürgenstock, en écoutant le langage des urnes le dimanche 9 juin, commencer à repenser leurs arguments guerriers et parier sur une véritable solution négociée à ce conflit qui use l’Europe au quotidien.