Les campagnes mondiales pour interdire certains types d’armes se sont révélées victorieuses, telle la Campagne internationale pour l’interdiction des mines antipersonnelles (ICBL) qui a débouché sur le Traité d’Ottawa en 1997. La Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN) a aussi abouti à l’adoption en 2017 du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), entré en vigueur en 2021. Pour autant, à ce jour, aucune puissance nucléaire ni Etat membre de l’OTAN ne l’ont ratifié, ni même la Suisse. A ce sujet, vous faites partie de l’Alliance suisse pour l’interdiction des armes nucléaires qui a lancé une initiative populaire qui demande l’adhésion de la Suisse à ce traité. En quoi consiste cette initiative ?
Pauline Schneider L’initiative pour l’interdiction des armes nucléaires, menée par l’Alliance du même nom, a été lancée en juillet 2024, quelques mois après que le Conseil fédéral a annoncé son intention de ne pas adhérer au TIAN. Pourtant, la Suisse avait participé aux discussions entourant la création du traité et en 2018 le Parlement a adopté une motion demandant au Conseil fédéral d’y adhérer. Avec la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), détentrice du prix Nobel de la Paix, et d’autres organisations de la société civile, nous avons donc estimé qu’une initiative populaire qui viserait à ancrer dans la Constitution l’adhésion de la Suisse au TIAN était notre dernière marge de manœuvre pour que le Conseil fédéral applique enfin la volonté du Parlement et d’une grande partie de la population. Les armes nucléaires représentent un danger affolant, si elles étaient utilisées les dégâts humains et écologiques seraient désastreux. De plus, elles sont contraires au droit international humanitaire par le fait qu’elles tuent sans distinction aucune, et la menace de leur utilisation ne fait qu’enliser les conflits, nous éloignant continuellement des discussions de paix constructives. Le texte est simple : il se base sur celui de l’adhésion de la Suisse à l’ONU, demandant en quelques lignes seulement que la Suisse adhère au Traité de l’ONU sur l’interdiction des armes nucléaires.
L’installation à Genève d’un bureau de liaison de l’OTAN est un coup de plus porté à la « neutralité » suisse et semble aller de pair avec le refus du Conseil Fédéral de ratifier le Traité (TIAN). Comment expliquer ce rapprochement ? Qu’est-ce que cela laisse présager ?
Effectivement, en début d’année 2023, les journaux suisses révélaient que le Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, avait mis la pression sur la Suisse pour que cette dernière n’adhère pas au TIAN. Cela pose plusieurs questions. Tout d’abord, concernant le TIAN, aucun pays de l’OTAN n’a l’interdiction d’adhérer à ce traité en tant que tel. Ensuite, au sujet de l’OTAN, quelle serait la place de la Suisse neutre au sein de la plus large alliance militaire ? En cas d’adhésion à cette organisation, nous perdrions notre statut de pays pouvant se targuer d’organiser des sommets sur la paix et d’ouverture à la résolution des conflits. De plus en plus de demandes sont faites au Parlement en faveur d’un rapprochement avec l’OTAN, et les discussions entourant la création du bureau de liaison dans la Genève internationale ont été très opaques.
Voulons-nous d’une Suisse qui se laisse mettre sous pression en refusant d’adhérer au TIAN – alors même qu’elle a participé aux discussions entourant sa création – dans le seul but de se rapprocher de cette alliance militaire qui demande aux pays de consacrer à son armée 2 % de leur PIB ? Le seul argument qui doit primer est que la Suisse est géographiquement entourée par des pays de l’OTAN : en cas d’attaque, deux scénarios s’offrent à nous : soit l’un des pays de l’OTAN nous attaque, soit un pays extérieur à lui le fait. Dans les deux cas, le fait que l’une des puissances militaires qui nous entourent soit vaincue ou nous attaque nous met devant un fait établi : peu importe l’état de notre armement, la Suisse ne pourra simplement pas faire le poids.
Ces discussions concernant un rapprochement avec l’OTAN ne sont qu’un écran de fumée, visant à jouer sur la peur des guerres qui nous entourent, et ont comme finalité une augmentation du budget de l’armée. Et cela, sans plan précis pour cet argent, et au détriment des domaines sociaux et de la coopération internationale, soit là où se situent les vrais défis. Tout cela empêche purement et simplement une discussion de fond sur les réelles menaces de notre siècle, menaces qu’un réarmement – massif – ne saurait éviter.
Quel est l’état général des mouvements pour la paix aujourd’hui ? Quelles stratégies seraient nécessaires pour les consolider, les étendre ? Quels sont ou seraient les moyens de pression des populations et organisations de la société civile face à la militarisation croissante ?
Les mouvements pour la paix n’ont cessé, de longue date, de se manifester, de descendre dans la rue et d’utiliser tous les moyens à disposition pour faire pression sur les gouvernements.
C’est évidemment difficile de tenir un discours allant à l’encontre de celui des autorités, qui misent sur la peur des guerres pour réarmer aveuglément les pays. Les synergies entre ces mouvements sont importantes : s’allier pour des campagnes d’information (comme l’exposition organisée par le comité « Halte à la guerre » à Genève, sur la propagande de guerre), des initiatives ou référendums, ou des manifestations de grande ampleur. Les mouvements de promotion de la paix défendent l’une des causes les plus justes, un monde dans lequel chaque être humain est respecté, peut vivre dignement, et non pas un monde dirigé par les lobbys de l’armement et les opinions va t’en-guerre de quelques chefs d’Etats.
Une bonne organisation interne, en cherchant toujours des possibilités de travailler ensemble est essentielle. Continuer à se former sur les enjeux des guerres, approcher les organismes qui sont touchés par des coupes budgétaires à cause de l’armée, des associations de victimes, approcher les parlementaires qui nous permettent de relayer notre cause dans les instances étatiques sont des moyens d’action efficaces. Les voix de la population sont claires : par exemple, en Suisse, une majorité de la population était contre l’achat des avions F-35. Une majorité de la population est également pour une adhésion au TIAN. Les moyens à disposition pour concrétiser ces opinions sont lents et peu nombreux, mais ils existent. En s’organisant, la volonté populaire peut être entendue et surtout, elle doit l’être !
Campagne contre les investissements d’UBS dans Elbit lancée
Elbit Systems est le plus gros fabricant d’armes privé israélien. Il fournit quelque 85 % des drones et des munitions de petit calibre utilisés par la « Force de défense d’Israël » et, depuis octobre 2023, il a connu un très significatif accroissement de commandes du Ministère israélien de la défense.
Elbit Systems et l’armée suisse ont établi des liens particulièrement privilégiés. En 2018, Ruag, le fabricant suisse d’armement, et Elbit Systems Switzerland ont annoncé vouloir conclure une joint-venture (société commune) technologique. Une année après, Elbit a fait savoir que la Suisse serait de première importance pour son implantation en Europe et, la même année, l’armée suisse a signé un contrat avec cette société pour moderniser ses moyens de communication. Comme on le sait, la guerre d’extermination qu’Israël mène à Gaza va de pair avec une accélération fulgurante de ses dépenses et productions militaires. Elbit a vu ses bénéfices exploser. Un placement juteux pour les banques. Comme d’autres, l’UBS s’est portée sur les rangs. Selon Fintel, «The Investment Research Platform for Global Investors», UBS a profité du génocide en cours à Gaza pour augmenter ses participations dans Elbit Systems Ltd de 73.55 %, entre les mois d’août et novembre 2024 uniquement. Suite aux campagnes menées avec succès dans leurs pays, JP Morgan, la plus grande banque des États-Unis d’Amérique, et Scotia Bank au Canada ont été poussées à se débarrasser de leurs actions d’Elbit. A leur instar, BDS-Suisse appelle actuellement à la mise en place d’une coalition la plus large pour contraindre UBS à faire de même….