«Rendre nos luttes visibles»

Guatemala • Fin novembre, trois représentants des autochtones du Guatemala ont visité la Suisse. Les réseaux Guatemala de Zurich et Berne ont invité Adaluz García, María Bautista et Domingo Quino à un échange avec la population civile suisse. (Par Alice Froidevaux, paru dans Vorwaerts)

Des maires indigènes de plusieurs villes ont participé à une marche en janvier, en soutien au changement de gouvernement. (Joel Solano)

En août le social-démocrate Bernardo Arévalo, avait été élu à la présidence du Guatemala sur la promesse de combattre la corruption, mais le parquet avait multiplié les recours judiciaires (annulation des élections, suspension de son parti politique, levée de son immunité d’élu) pour l’empêcher d’être investi à sa charge. Face à cette situation et une alliance entre élite économique, ex-militaires et conservateurs contrôlant la majeure partie de l’Etat guatémaltèque, les organisations indigènes ont manifesté durant plus de cent jours devant le bureau du procureur général à Guatemala City pour soutenir le candidat, qui a finalement été investi ce 15 janvier.

Quelles sont les raisons de votre voyage en Suisse?

Adaluz García: Nous sommes ici pour le Forum des Nations unies sur l’économie et les droits de l’homme. Nous y avons fait part des violations des droits de l’homme commises sur nos territoires dans le cadre de projets économiques. Comme notre système juridique national est totalement corrompu, nous devons nous rabattre sur les systèmes internationaux. De manière générale, ce voyage nous sert à frapper aux portes et à nouer des contacts: nous voulons rendre nos luttes visibles. Nous voulons que l’on sache et que l’on reconnaisse au niveau international qui sont les Autoridades Ancestrales (Autorités ancestrales) et quel est notre rôle dans la résistance historique et dans les protestations actuelles.

Comment êtes-vous organisés en tant qu’autorités indigènes?

Domingo Quino: Dans certaines régions comme Sololá ou Totonicapan (à l’ouest de la capitale. ndlr), il existe des structures historiques qui n’ont jamais disparu malgré le pouvoir colonial en place. Dans d’autres régions, les formes d’organisation indigènes revivent. Ces dernières années, nous avons continuellement travaillé au renforcement de notre coordination régionale et nationale. Notre objectif commun est la défense de notre territoire, de nos langues et des formes traditionnelles d’agriculture, de médecine ou d’éducation dans la perspective de la cosmovision maya. Au niveau national, nous sommes aujourd’hui regroupés sous le nom d’Autoridades Indígenas de Iximulew. Ixim Ce qui signifie «terre du maïs» et décrit à la fois la fin d’une ère et le début d’une nouvelle.

Les manifestations de protestation durent depuis plus de deux mois et vous êtes en «assemblée permanente». Qu’est-ce que cela signifie?

Adaluz García: D’habitude, les représentants des différents peuples indigènes du Guatemala se réunissent à des moments précis pour des réunions nationales. Dans la situation exceptionnelle actuelle, ils sont présents en permanence dans la capitale depuis le début des protestations. Ils observent de près ce qui se décide au Congrès et au bureau du procureur général, échangent, réévaluent et définissent des stratégies. Parallèlement, les structures organisationnelles régionales sont également en veille permanente. Elles discutent des informations de la capitale avec les communautés de la base et rendent compte aux représentants de la ville de Guatemala. C’est la première fois dans l’histoire qu’une assemblée nationale des autorités indigènes aussi longue se tient.

Quelles sont vos revendications et quels succès ont déjà été obtenus grâce aux protestations?

Domingo Quino: Premièrement, la procureure générale corrompue, Consuelo Porras, ainsi que d’autres procureurs et juges véreux, qui veulent activement empêcher le changement de pouvoir, doivent partir. Deuxièmement, il faut respecter la volonté du peuple et garantir un transfert pacifique du pouvoir à Bernardo Arévalo. Si cela ne devait pas se produire, nous nous verrions également légitimés pour imposer nos propres formes de gouvernement, notre autonomie et notre autogestion.

Maria Bautista: L’une de nos plus grandes réussites est d’avoir réussi à nous unir en tant que mouvements indigènes. Et nous avons réussi à ce que les mouvements urbains et d’autres secteurs se joignent aux protestations: les étudiants, les travailleurs, les commerçants sur les marchés, les entreprises de transport et le personnel de santé. Même les policiers se sont partiellement solidarisés avec les protestations.

Adaluz García: Les autorités indigènes ont montré leur force de mobilisation et d’unité ainsi que leur capacité de négociation. Elles reçoivent pour cela un respect sans précédent de la part d’une grande partie de la population. La reconnaissance internationale s’est également accrue: celle-ci préfère aujourd’hui parler avec les autorités indigènes plutôt qu’avec le gouvernement officiel. Celui-ci a perdu sa légitimité non seulement auprès de la population, mais aussi au niveau international.

Quel est le rôle des femmes dans les protestations?

Adaluz García: Les femmes ont toujours joué un rôle important dans la résistance indigène. Mais leur contribution n’a malheureusement pas toujours été visible. Aujourd’hui encore, il y a des rôles classiques que les femmes assument. Mais il y a aujourd’hui de plus en plus de femmes qui sont présentes sur le front et qui représentent leurs communautés en tant qu’autorités. Nous essayons de trouver des modalités pour que cela soit possible pour davantage de femmes. Car souvent, un tel engagement signifie pour elle une charge multiple, car nous travaillons en même temps que nous sommes responsables du ménage et des enfants. Comme nous sommes encore peu de femmes dans ces structures, nous nous exposons aussi davantage. Le risque d’être victime de criminalisation est très élevé. C’est pourquoi nous devons particulièrement soutenir et protéger les femmes en tant que collectif.

 

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