Un accord qui pose des questions

Syrie • Les Forces démocratiques syriennes (FDS) dirigées par les Kurdes et le gouvernement al-Jolani ont signé un accord qui promet la stabilité, mais laisse plus de questions que de réponses.(Par Irene Redondo, publié par El Salto)

Le gouvernement intérimaire de Damas et les Forces démocratiques syriennes (FDS) dirigées par les Kurdes ont signé un accord qui, en théorie, représente un pas vers la réunification du pays. Toutefois, cet accord laisse de nombreuses questions en suspens, notamment en ce qui concerne le modèle d’Etat et le rôle des FDS au sein de la structure de sécurité syrienne.

L’accord prévoit l’«intégration» de toutes les institutions civiles et militaires du nord-est de la Syrie sous l’administration de l’Etat, y compris le contrôle des passages frontaliers, des aéroports et des ressources stratégiques telles que les gisements de pétrole et de gaz. Il prévoit également le retour des populations déplacées dans leurs villes et villages, en assurant leur protection par l’Etat, et engage les signataires à lutter conjointement contre le terrorisme ou toute menace pour la sécurité et la stabilité du pays.

L’annonce du pacte a été accueillie par des célébrations tant à Damas qu’à Qamishlo, mais avec des interprétations différentes. Chaque partie y a vu sa propre victoire, grâce à l’ambiguïté du terme clé, «damayy» (دمج), autour duquel s’articule l’accord.

Ce concept, qui peut être compris comme union, intégration, inclusion ou assimilation, a été délibérément utilisé pour offrir une marge d’interprétation à tous les acteurs concernés. Alors que certains y voient une absorption complète des FDS dans l’Etat syrien, d’autres y voient une reconnaissance de leur autonomie dans un nouveau cadre politique qui reste à définir.

Des sources proches de l’administration autonome insistent sur le fait que le pacte n’implique pas la dissolution ou la remise des armes. Pour preuve, quelques heures après la signature, les FDS ont annoncé le début d’opérations conjointes avec le gouvernement syrien contre Daesh, un geste qui renforce leur rôle militaire et contredit toute interprétation du pacte comme une absorption totale dans les forces de l’État.

Violence sur la côte contre la communauté alaouite

Au niveau populaire, l’accord a ramené le calme après des jours d’exécutions et de violences sectaires qui ont touché la communauté alaouite. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, plus de 1’300 personnes ont été tuées, dont 830 civils alaouites, souvent exécutés par les forces de sécurité. Les combats ont déclenché un exode massif vers le Liban, où 7’600 personnes déplacées ont trouvé refuge dans les communes du Akkar, avec l’aide de la Croix-Rouge et du HCR.

Le président intérimaire, Ahmed al-Sharaa, anciennement connu sous le nom d’al-Jolani, a annoncé la création d’un comité indépendant chargé d’enquêter sur les meurtres et de poursuivre les responsables, et son leadership continue de susciter des tensions internes au sein des cercles islamistes. Son approche pragmatique, qui vise à mettre en place une administration islamiste dotée de structures de gouvernance fonctionnelles, est rejetée par les secteurs les plus fondamentalistes. Ces derniers, qui continuent de prôner la création d’un Etat islamique, considèrent sa décision de privilégier la stabilité et la reconnaissance politique comme une trahison qui a conduit certaines factions à agir de manière autonome.

Parallèlement, l’Arabie saoudite et la Turquie rivalisent pour influencer sa prise de décision et consolider leur contrôle sur la Syrie, chacune ayant des intérêts stratégiques différents dans la reconfiguration du pouvoir dans la région.

Un pacte cohérent avec la stratégie kurde qui donne du temps à toutes les parties

Depuis sa création, l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (AANES) prône un modèle de Syrie fédérale, une vision qui se reflète en partie dans l’accord signé avec Damas. Cependant, le document est vague et dépourvu de contenu concret, ce qui en fait plus une stratégie pour désamorcer les tensions, gagner du temps et maintenir ouvertes des négociations complexes qu’une véritable garantie de stabilité.

L’administration autonome met en garde contre le fait que le pacte est signé dans un Etat qui ne dispose pas d’une constitution définie ou d’un processus clair pour la rédiger. La Conférence de dialogue national, convoquée par le gouvernement intérimaire il y a quelques semaines pour discuter de l’avenir politique du pays, a été dénoncée comme un espace exclusif, où «il n’y avait pas de représentants légitimes des communautés druze, kurde, alaouite, ismaélienne ou chrétienne… seulement des individus sans soutien réel». «La Constitution syrienne de 2012, adoptée sous le régime de Bachar el-Assad, contenait déjà des principes de non-discrimination sur la base du sexe, de l’origine, de la religion ou de la langue et prévoyait la protection de toutes les religions par l’Etat. Cependant, dans la pratique, ces droits sont restés lettre morte, sans réel changement pour les minorités, dont la communauté kurde», soulignent-ils.

L’accord intervient à un moment marqué par le processus d’ouverture du PKK en Turquie, la vague d’exécutions et le réajustement des rapports de force dans la région. Malgré son ambiguïté, le pacte offre une possibilité de prolonger le dialogue. Alors que la Syrie reste dans un processus de reconfiguration politique et militaire, l’impact réel de cet accord dépendra à la fois de sa mise en œuvre effective, promise pour cette année, et de l’évolution des équilibres régionaux dans les mois à venir.

https://www.elsaltodiario.com/kurdistan/milicias-kurdas-firman-un-acuerdo-ambiguo-damasco-un-estado-sirio-aun-definir