Plus de cinquante-cinq ans de carrière passée derrière la caméra au cinéma, à la télévision et dans l’univers des séries. Stephen Frears a reçu à l’âge de 84 ans le prix “Film and Beyond” lors de la 31ème édition du Geneva international film festival (GIFF). Ce prix récompense un cinéaste éclectique qui a touché à tous les genres et registres – du tragicomique au film noir en passant par le western.
Réalisme social teinté d’humour et d’ironie
Souvent comparé à Ken Loach, Mike Leigh ou Allan Clarke, Stephen Frears partage avec ces cinéastes une critique cinglante des années du thatchérisme. Après la période de progrès social de l’après-Seconde Guerre mondiale, les dégâts occasionnés par le programme de la Dame de fer sont incommensurables (Bloody Kids (1979), My Beautiful Laundrette (1985), Prick Up Your Ears (1987), The Van (1996)). Son regard acéré permet au cinéaste de régler aussi subtilement mais sûrement ses comptes avec une institution ecclésiastique rétrograde (The Snapper (1993), Liam (2000), Philomena (2013)).
Dotée d’une portée critique indéniable, son œuvre dissèque souvent la logique absurde et perverse des rapports de pouvoir et le rôle corrupteur de l’argent (The Deal (2003), Florence Joster Jenkins (2016), A Very British Scandal (2018)). Elle évoque la grandeur et le ridicule de la royauté britannique (The Queen (2006), Confident Royal (2017), The Lost King (2022)). Le cinéaste porte un regard profond et bienveillant sur le vécu des homosexuels (My Beautiful Laundrette (1985), Prick up your Ears (1987), A Very British Scandal (2018)). Il s’intéresse aux discriminations subies aussi par les immigrés (My Beautiful Landrette (1985), Dirty Pretty Things (2002)).
Plus léger que celui des autres cinéastes associés au réalisme social britannique, son style le rattache au genre de la tragicomédie. « Le fait d’avoir été lié d’amitié pendant plus de trois ans à John Cleese (concepteur des Monty Python et d’Un poisson nommé Wanda, Ndr) – lors de mes études à l’Université de Cambridge, y est certainement pour quelque chose ».
My Beautiful Laundrette
« Le succès de My beautiful Laundrette (1985) – qui a propulsé ma carrière – a été complètement inattendu ». Rien ne prédisposait cette histoire d’amour entre un jeune homme d’origine pakistanaise et un jeune homme britannique, ancien membre d’un groupe néonazi, qui décident de gérer une laverie automatique délabrée de la banlieue de Londres à devenir un immense succès. « Or, ce film a suscité un enthousiasme absolument débordant et fait le tour du monde», raconte Stephen Frears, avec l’air encore aujourd’hui surpris.

Au service des scénaristes, des actrices et des acteurs
Stephen Frears exprime à plusieurs reprises sa reconnaissance. Il a eu beaucoup de chance et ce à plusieurs moment clés de sa carrière. En 1990, Martin Scorsese lui fait confiance pour réaliser The Grifters. « J’ai plus appris de mes échecs (Mary Reilly (1996), Las Vegas, la mémoire d’une joueuse (2012), etc) que de mes succès. Je trouve souvent mes films ratés plus intéressants ». Il est très reconnaissant d’avoir pu travailler avec des scénaristes de grand talent : Hanif Kureishi, Alan Bennett, Christopher Hampton, Peter Morgan, Steve Coogan, Richard Price, etc. Tout le contraire d’un cinéaste d’auteur, il s’est toujours vu et se voit encore aujourd’hui dans le rôle d’un exécutant au service du scénario. Il a aussi le don de bien s’entourer en contribuant à révéler ou à magnifier le talent des actrices et des acteurs. On peut citer Michelle Pfeiffer, John Malcovitch et Keanu Reeves dans Dangerous Liaisons, John Cusak dans High Fidelity, John Cusak, Anjelica Huston et Annette Benning dans The Grifters, Helen Mirren dans The Queen ou Judy Dench dans Philomena.

Une époque révolue
A Genève, il s’est inquiété de l’avancée du populisme d’extrême-droite partout dans le monde, et notamment en Angleterre avec les adeptes de Nigel Farage. Un âge d’or de liberté créative a prévalu au sein de la BBC. Celle-ci a été prête à financer des projets décrivant la réalité des Britanniques pendant de nombreuses décennies. « Avec l’avènement des plateformes et la logique commerciale qui prévaut depuis quelques années, il est beaucoup plus difficile de trouver des financements pour des projets audacieux ». En témoigne la difficulté que son scénariste Christopher Hampton et lui rencontrent à financer son dernier projet « Wilder and me ». Billy Wilder était un cinéaste de grand talent de l’âge d’or du cinéma hollywoodien (Sunset Boulevard, Some Like Hot, The Appartment, etc). Sa vie et son œuvre furent marquées par le tragique et le comique. Il proposait une réflexion sociale d’une intense profondeur. « Qui sait ? Un miracle se produira peut-être et nous arriverons tout de même à faire ce film », conclut Stephen Frears, qui refuse de baisser les bras.