En 1944, les victoires de l’Union Soviétique et de ses alliés sur les armées fascistes annoncent la fin prochaine de la guerre. Le Conseil Fédéral est contraint de lever les interdictions qui pesaient depuis la fin des années trente sur les partis et la presse d’orientation communiste en Suisse. C’est ainsi que naîtront la même année le Parti Suisse du Travail et la Voix Ouvrière. Il aura fallu surmonter une longue procédure de 16 mois pour lever les obstacles administratifs du Ministère public de la Confédération (MPC) et du Département fédéral de la Justice et Police (DFJP), qui firent leur possible pour empêcher la parution de ce titre de presse contestataire.
C’est sous des conditions dignes d’un régime dictatorial que paraît donc le premier numéro de la Voix Ouvrière le 18 août 1944 : parution limitée à 4 pages, interdiction de toute «propagande communiste» et de collaboration avec des leaders de «partis interdits», interdiction de diffuser un quelconque «écrit illégal». Malgré ces difficultés, la Voix Ouvrière résonna au sein des classes populaires suisses et connu un fort succès, le tirage augmentant rapidement dans l’immédiat après-guerre.
Un journalisme véritable
C’est aussi le nom du fondateur du journal qui hérissait alors le poil des autorités. Aux manettes se trouve en effet un certain Léon Nicole, célèbre meneur de foules et orateur, qui avait été exclu du Parti socialiste en raison de son attachement aux idées communistes. Avant-guerre, lui et son équipe rédigeaient le journal Le Travail, qui avait dénoncé maints scandales et prévarications de la bourgeoisie suisse, notamment celles qui aboutirent à la faillite de la Banque de Genève, qui mena aux tragiques évènements du 9 novembre 1932, où des dizaines de militants de gauche de tombèrent sous les balles de la troupe sur la plaine de Plainpalais.
Comme Le Travail, la Voix Ouvrière continua de jouer un rôle de dénonciateur du capitalisme et de ses représentants politiques et économiques et de défenseur des petites gens et réussit dans de nombreux cas à réparer des injustices ou à faire condamner des responsables de ravages économiques ou financiers.
Les batailles de la «Voix Ouvrière»
L’assurance vieillesse fut un des premiers combats du journal, qui réclama dès sa fondation qu’on assure aux personnes âgées, jusqu’alors sans soutien public, des rentes décentes. De vigoureuses offensives du journal furent également menées en faveur des lois sociales: pour l’amélioration du régime des vacances payées, pour l’assurance invalidité, pour une assurance maladie équitable, pour l’abaissement de l’âge de la retraite, etc. Le journal s’éleva aussi contre les folles dépenses militaires de la Suisse pendant la Guerre froide et particulièrement contre les tentatives de doter notre pays d’un armement nucléaire. Et, naturellement, il accorda une grande place aux revendications des travailleurs, à la défense des locataires, à la lutte pour la paix, pour l’égalité entre hommes et femmes et fut même, dans les années 50 et 60, le seul journal quotidien en Suisse à soutenir les légitimes doléances et protestations des petits producteurs valaisans.
Le journal s’engagera concrètement en faveur des luttes de libération des peuples colonisés et victimes de l’impérialisme. C’est sur ses presses que seront imprimés les exemplaires à destination de la France du journal El Moudjahid, publication du Front de libération nationale d’Algérie, après la saisie de ses presses par les paramilitaires de l’armée française en 1957. Lors d’un transfert de journaux par-delà la frontière, le militant Jean Mayerat sera arrêté et condamné à un an de prison par la justice française.
Cet engagement était bien en Suisse romande, où l’on appelait la Voix Ouvrière par ses initiales: la «VO». Avec ce petit accent de sympathie et de complicité chez les travailleurs, mais aussi des réactions anxieuses ou de fureur dans le patronat et chez les politiciens de droite.
Maints obstacles
Le journal dut aussi se heurter à maints obstacles: ostracisme publicitaire du fait de pressions sur des annonceurs potentiels; procès et condamnations de ses rédacteurs (en 1951 le contributeur Pierre Nicole fut condamné à 15 mois de prison ferme pour un article attaquant le Conseil fédéral) et souvent lourdes amendes ou indemnités de dédommagement; discrédit continuel de la part des autorités, des milieux économiques et même des Églises; sabotage de ses caissettes de distribution; stigmatisation de certains de ses abonnés; et même, en 1956, au moment de l’hystérie anticommuniste déclenchée par les événements de Hongrie, tentative de prise d’assaut et d’incendie du bâtiment du journal et de l’imprimerie, qui ne put être contrée que par la mobilisation de quelques centaines de militants pour le défendre, alors que la police restait totalement passive face à 2’000 manifestants de droite, déchaînés.
Le journal est resté quotidien jusqu’à fin 1979, puis il est devenu hebdomadaire. En 1986, dans le souci de dépasser le cadre trop restrictif de l’appellation ouvrière, il est devenu VO Réalités, puis, en 1995, Gauchebdo. La nouvelle formule que vous tenez entre les mains s’inscrit dans ce riche héritage et le remet met au goût du jour. Avec près de 80 ans d’histoire derrière lui, le magazine Voix Populaire est l’un des plus anciens titres de presse politique suisse encore en activité. Et notre combat pour une presse critique et combative en Suisse se poursuit!
Par la rédaction, texte adapté d’une recherche historique d’André Rauber.