Deux visions de l’écologie en débat

Livre • Regards analytiques sur le mouvement vert à travers les ouvrages de deux auteurs, l'un "écolo-capitaliste" et l'autre marxiste. (Par Martin Schwartz)

Crédit : Jeanne Menjoulet

Les librairies regorgent de publications consacrées au problème de l’environnement. Même sans devoir les étudier à fond, on constate à quel point les mouvements écologiques («les Verts») ont des approches diverses, souvent contradictoires, du problème de la protection de l’environnement. La raison en est simple: tout le monde est «vert», à voir la publicité de Glencore ou, plus comique, celle de la Banque cantonale vaudoise, qui propose des «placements durables». D’où un foisonnement d’idéologies écologistes.

A l’opposé du mouvement vert, la défense des travailleurs ou, pour parler plus clairement, les théories sur la lutte des classes, peuvent être divisées en deux grands courants, à savoir le courant social-démocrate et le courant communiste. L’identification d’un mouvement politique se réclamant de l’engagement en faveur de la classe des travailleurs est donc relativement facile: tout le monde ne se proclame pas défenseur des travailleurs.

Confrontation de deux visions

J’ai choisi, un peu au hasard et faute de mieux, deux points de vue extrêmes d’écologismes, l’un systématiquement marxiste, l’autre capitaliste mais se réclamant de l’écologie.

Pour le point de vue capitaliste, j’ai retenu le livre récent de Pascal Perri*, capitaliste, industriel et essayiste, plutôt qu’une bible stupide d’un capitaliste climatosceptique. Certes, Pascal Perri est très critique envers le mouvement vert, souvent avec des raisonnements sommaires, mais il faut reconnaître que son livre vaut la peine d’être lu car il y a de quoi s’instruire. Mon autre choix porte sur Dominique Mazuet**, car, en marxiste, Mazuet décrit en détail le processus qui a conduit un certain type d’écologisme à peut-être devenir le «stade ultime du capitalisme», comme l’indique son encadré hors pagination.

Commençons par Mazuet. C’est un penseur polémiste et, pour s’en convaincre, il suffit de regarder la page de garde, où défilent en caricatures les «Grands» de la mouvance «écolo-bobo-chic» (1). Quant au titre Les Veaux et les Choses, il ne laisse pas de place au doute: il s’agit d’une parodie de Michel Foucault, Les mots et les Choses, manifeste des philosophes déconstructeurs et de la «French Theory» (2), produit américain du «politically correct», cher à certaines mouvances écologiques.

La structure du livre est déroutante, car la première partie, intitulée «LVLC», est la reprise du livre dans sa première version, suivie de remarques et réponses. Le tout illustré de dessins très drôles .

Insuffisances de la décroissance

Mazuet reprend pas à pas les raisonnements de Marx et de son maître, Hegel. Le lecteur qui voudrait en savoir plus trouvera, au-delà d’un mode d’expression satirique, une mine de références. Le résultat de cette étude très approfondie est simple, mais évident: face aux dangers réels de la destruction de l’environnement, le dogme de la décroissance ne prend qu’insuffisamment en compte le facteur politique des conflits de classes générateurs de destructions environnementales. Cela explique pourquoi le capitalisme peut s’en accommoder, du moins au plan de sa réthorique.

Comme lectures enrichissantes je recommande essentiellement «marxisme et idéologie» (p.41 et ss), «le nouvel opium du peuple», certes passablement excessif (p. 79 et ss) et le passage consacré à une critique comique des philistins par Nabokov, citant Flaubert pour traiter Marx de philistin, d’ailleurs non sans une certaine pertinence (p.148).

Ces textes analysent certaines mouvances écologistes comme une sorte de religion rassurante pour une petite bourgeoisie en perte de vitesse, angoissée et se cramponnant à l’irréel pour se consoler des misères de ce monde. D’où la célèbre formule marxienne d’opium du peuple. Même si la thèse de Mazuet est discutable, il y a une forme d’écologisme animiste quasi religieux. J’entends par animiste la tendance à donner à la nature un statut quasi humain, typique, entre autres, des anti-spécistes. D’où ces aberrations juridiques qui voudraient donner à certains éléments de la nature le statut de personnes, comme, par exemple, les fleuves (3).

Apologies de l’économie low cost

A l’autre extrême, Pascal Perri s’est notamment fait connaître par son apologie de l’économie low cost. A la base de ses textes, il y a la critique de la politique du club de Rome, pourtant orchestrée à l’époque par le MIT (p.121 et ss), organisme universitaire purement capitaliste. Mazuet, pour des raisons évidemment très différentes, formule des critiques analogues. Même si l’approche de Pascal Perri est typiquement de droite, certaines critiques rejoignent celles de Mazuet. Ainsi, pour Perri, l’écologisme ne s’est parfois pas libéré de ses origines catholiques, à tel point que le maire de Bordeaux a été qualifié de «catho-basque» (p.43). Lire «Le retour de Malthus» (p.66), qui est un copié-collé de Marx, et cela sous la plume d’un capitaliste convaincu!

Typique de la démarche d’un capitaliste prétendument écologiste, Pascal Perri s’est fendu d’un credo plutôt hypocrite :«Certains domaines ne sont pas marchandisables. Les biens communs ont la particularité de n’appartenir à personne en particulier et à tous en général» (p.202). L’erreur, c’est de croire qu’en régime capitaliste il y aurait des biens ayant de la valeur sans être marchandisable. Dès que la possession d’un bien peut procurer du bénéfice, le capitalisme transforme ce bien en marchandise. C’est le cercle vicieux de l’économie libérale.

Martin Schwartz

*Pascal Perri. Le péril vert. L’Archipel, Paris 2021.

** Dominique Mazuet. Les Veaux et les Choses. Delga, Paris 2021.

(1) Emmanuel Macron, Pierre Rhabbi, Ségolène Royal, Jean Castex, Daniel Cohn-Bendit, Cécile Duflos, Edouard Philippe.

(2) En bref et en substance: on appelle communément French Theory la doctrine promue notamment par Foucault, tendante à déconstruire les paramètres sociaux qui se réfèrent à un corpus de règles fixées par l’autorité. Très à la mode dans les années soixante, elle est considérée comme ayant conduit aux Etats-Unis, dans les années 80, au dogme du politically correct, ensemble de règles réimportées en Europe avec le vernis du vieillot puritain. Pour ceux qui veulent en savoir plus: relire absolument les textes de Clouscard.

(3) Il s’agit d’une démarche juridiquement fausse. Déjà le droit romain connaissait des cas de biens sans propriétaires, mais à protéger pour des raisons culturelles, comme, par exemple, les célèbres «res sacrae» (Gaius II / 4). Au lieu de leur donner une individualité quasi humaine, les juristes romains ont simplement et logiquement mis ces biens sous la protection prétorienne de l’autorité publique.