Mondes en luttes

Photo • Le photographe Bruno Serralongue interroge l’image médiatique et suit des résistances contre l’oppression. Troublant et pertinent.

Cherri Foytlin de la nation Navajo Diné. B.Serralongue

Le photographe français documente réalités sociales et politiques. Son travail est en rupture avec l’approche des médias mainstream et leurs clichés iconiques du moment décisif, significatif. Il privilégie un angle artistique de l’image documentaire mettant en valeur environnement, hors-champ, temps long et énergie des mouvements collectifs.

Prenant en moyenne une image par jour, l’artiste « remplace l’instant décisif dans un sens journalistique par l’instant utopique que représentent les initiatives de ses acteurs… » 1. Ceci tout en s’efforçant de préserver « une esthétique de la distance et sans tomber dans le piège de l’art engagé. » 2

En août 1996, il accompagne les zapatistes du Chiapas lors de leur première rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme. Muni d’une chambre grand format, Serralongue retient des motifs en apparence de l’ordre du banal : foule vue de dos, sites désertés, paysages montagneux où s’étaient réfugiés les zapatistes pour échapper à la cœrcition militaire. Débuté en 2006 son travail à Calais suit l’installation des migrants réfugiés attendant de franchir la Manche dans ce qui sera « la jungle ». Dans une forme de repérage topographique, l’œil découvre des camps dévastés, les champs proches d’Eurotunnel inondés et le mur anti-intrusion. Autant de mesures pour maintenir à distance les migrants.

Native Lives Matter

Présenté sur la plaine de Plainpalais à l’été 2021, son travail en cours sur Les Gardiens de l’eau se parcourt désormais dans le jardin d’été à Arles. Le Commissaire de l’exposition, Pascal Beausse, détaille : « Les communautés sur lesquelles travaille le photographe sont souvent invisibilisées dans leur quotidien par les grands médias. C’est une forme de contre-information face à l’actualité. » Les images témoignent du combat asymétrique des Amérindiens contre la construction d’infrastructures pétrolières menaçant les eaux des lacs et rivières de leur réserve de Standing Rock (Dakota du Nord). Asymétrie donc dans cette vue d’un minuscule tipi protestataire devant l’obélisque du Washington Monument, lors d’une manifestation Native Lives Matter dans la capitale américaine.

« Chez le photographe, le rapport au temps est aussi intéressant que celui au document. Celui-ci n’est pas figé, n’étant qu’une étape dans un processus au long cours. Serralongue suit des communautés victimes de l’industrialisation et de la mondialisation. Avec elles, il construit une iconographie pour traduire cette lutte afin de protéger l’espace naturel. Beaucoup d’images sont associées au gré d’un photomontage formant une narration », explique Christophe Wiesner, directeur des Rencontres arlésiennes de la photographie. Les Amérindiens interpellent sur les réseaux sociaux Credit suisse, qui a financé avec UBS le pipeline. « Pour le Chiapas, il s’agit d’une lutte anticoloniale pour la restitution de terres ancestrales, avance Serralongue. Aux États-Unis, c’est un combat visant au respect des traités signés entre le gouvernement fédéral et les nations indiennes dès le 17e. On peut les relier aujourd’hui du point de vue de l’écologie. »
Dans un poème reproduit d’un activiste, Mark K. Tilsen, on lit : « Et nous les avons arrêtés pendant une heure, un jour, des semaines et des mois/Avant que les grands incendies ne ravagent tout. » Chez les Sioux, il y eut de nombreux blessés, arrestations et condamnations pour terrorisme et sabotage. Avec plusieurs centaines de victimes, la répression militaire et policière fut forte. « Les autorités ont développé un arsenal juridique cœrcitif faisant que les militants encourent la prison à vie, souligne le photographe. Lors d’une manifestation contre le pipeline, Marcus Mitchell, de la nation Navajo Diné, a reçu un tir à la tête, qui lui a ôté un œil et l’usage d’une oreille. » 

1 et 2 Calais. Témoigner de la « Jungle » 2006-2020, Heni, 2022, pp. 30-31

Les Gardiens de l’eau. Jusqu’au 26 septembre. Rencontres de la photographie, Arles, www.rencontre-arles.com