Hold-up sur les semences

Bande dessinée • Ce printemps est sorti, aux éditions la Boîte à Bulles, une enquête sous forme de roman graphique parlant du combat de l’agriculture paysanne pour gagner le droit d’utiliser librement des semences anciennes. (Par Christophe Grand)

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Renaud de Heyn est l’auteur d’une enquête approfondie et documentée, qui retrace l’évolution de l’agriculture moderne à travers la question des semences et de leur commercialisation. Dans cette BD, on trouve notamment des chiffres, des statistiques et des résultats d’études scientifiques. Des portraits et témoignages d’agriculteurs racontant leur travail et leur combat pour pouvoir utiliser, échanger et vendre des semences anciennes. En face, les multinationales de l’argro-industrie et l’agro-chimie mettent toute leur énergie et leur argent pour faire main basse sur ce marché en y développant des plantes hybrides. Celles-ci donneront des plantes homogènes, qui seront dépendantes de traitements chimiques pour ne pas périr et dont les graines ne repoussent pas l’année suivante. De ces plantes, ils veulent en faire la norme.

Un marché juteux

Pour faire face au risque de famine au sortir de la seconde guerre mondiale, l’agriculture a suivi une politique productiviste. Au nom du rendement, le travail s’est mécanisé. C’est ce qu’on appelle l’agriculture moderne. Les industriels ont vite compris que ce marché en voie de développement pouvait être une mine d’or. Entre les années 50 et 80, le chiffre d’affaires lié à la vente de semences a doublé. Entre les années 70 et 90, on a compté pas moins de 400 acquisitions et fusions de sociétés dans le secteur semencier mondial, en majorité sous l’égide de grands groupes pharmaceutiques et chimiques. Au fil du temps, l’agrochimie est devenue toute puissante dans le secteur des semences. Pour elle, « seule l’agriculture conventionnelle peut nourrir la planète, personne ne peut se passer de chimie dans l’agriculture ne serait-ce que pour stabiliser les récoltes en tuant les maladies ». Pourtant, une étude récente de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA, France) réalisée sur des petites fermes maraîchères bio en permaculture démontre que celles-ci sont plus productives que l’agriculture conventionnelle.

C’est par souci écologique, par respect pour la terre et la biodiversité que des petits paysans veulent produire différemment. En 2003 est créé le réseau « Semences paysannes », qui a pour volonté « de rassembler et mettre en réseau les acteurs de la biodiversité cultivée pour retrouver une autonomie semencière et développer une alternative à l’agro-industrie ».

David contre Goliath

La bataille de ces petits paysans est rude, parce qu’ils travaillent dans l’illégalité par rapport aux législations de l’époque et qu’ils sont traînés en justice par des entreprises et l’Etat français. De plus, c’est la croix et la bannière pour modifier les législations tant en France qu’au Parlement européen, car les multinationales de l’agrochimie et l’agro-industrie font pressions sur le législateur par un énorme travail de lobbyisme avec des millions dépensés ou par des recours judiciaires pour faire annuler une décision.

Grâce au réseau paysan et aux mobilisations citoyennes, les législations bougent enfin. Depuis le 1er janvier 2022, en Europe, les semences anciennes sont en accès libre et n’ont plus à être inscrites dans un catalogue pour être vendues. Mais les multinationales n’en restent pas là. Parallèlement, elles ont tenté de revenir par d’autres portes, comme avec les brevets sur le vivant et l’encadrement législatif des manipulations génétiques. Les conséquences : une plante manipulée deviendra brevetée, impliquant que le droit à la propriété actuel sur les semences déjà cataloguées risque d’être de plus en plus remplacé par des brevets, ce qui serait catastrophique. Même si, pour l’heure, ils n’ont pas obtenu le succès qu’ils escomptaient, il est certain qu’ils ne vont pas s’arrêter là. L’appât du gain est, pour ces multinationales, plus fort que le bien commun.