«C’est un journal historique, fermé du jour au lendemain du Coup d’État de Pinochet en 1973. Et nous lançons une campagne internationale pour demander justice et obtenir une réparation financière», explique Elena Rusca, journaliste basée à Genève travaillant pour ce quotidien.
Fondé en 1954, le Journal Clarin, dont le solgan est «fermement avec le peuple», est racheté en 1970 par un réfugié de la dictature franquiste en Espagne, Victor Pey (1915-2018) au parcours étonnant. Arrivé en 1939 sur le Winnipeg, bateau affrété par le poète Pablo Neruda, alors consul pour l’immigration espagnole à Paris, pour emmener 2’500 républicains sur le continent latino-américain, l’homme avait combattu pendant la guerre civile espagnole. Il s’était distingué sur le front d’Aragon aux côtés des anarcho-syndicalistes dans les rangs de la Colonne Durruti, du nom du fameux libertaire Buenaventura Durruti. Dans son nouveau pays, le Catalan, qui travaille comme ingénieur civil, rencontre Salvador Allende en 1940, avec qui il se lie d’amitié. Après le rachat de Clarin, le journal défend des positions de gauche, puis soutient la politique de l’Union populaire derrière le gouvernement Allende élu en 1970, appelant à la lutte des classes.
Au moment du coup d’État du général Pinochet le 11 septembre 1973, le journal est fermé et la parution cesse. Victor Pey s’exile une deuxième fois dans sa vie avec l’aide des ambassades espagnoles et vénézuéliennes. À son retour au Chili dans les années 90, il demande aux gouvernements successifs des compensations financières pour la fermeture du journal et la reprise de la parution de Clarin, ce qui lui est refusé. Anecdote significative de son engagement républicain: en contactant le juge espagnol Baltazar Garzon, Victor Pey sera aussi la cheville ouvrière de l’arrestation du général Pinochet à Londres en vue de son extradition le 16 octobre 1998.
Il faudra attendre jusqu’en 2013, 40 ans après le Coup d’État, pour que le journal reparaisse. Entretemps, Victor Pey et la fondation Salvador Allende qu’il a créée en Espagne auront bataillé des années pour faire reconnaître la spoliation. Déposant en 1997 une plainte devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) de la Banque mondiale, Victor Pey réclamera 517 millions de dollars devant l’institution. Ce montant correspondant à la valeur de l’entreprise au moment de son expropriation et aux bénéfices qu’elle n’avait pas perçus depuis. Rappelons que Clarin vendait 280’000 exemplaires par jour et était de loin le journal le plus lu au Chili. La CIRDI lui donne raison en 2008.
En mai 2022, le président du 101e tribunal de Madrid, Pedro José Puerta rend une décision finale condamnant l’État chilien à verser cette somme, après avoir fait exécuter en 2013 le paiement des frais imposés par cette même sentence au Chili: plus de trois millions de dollars, que l’État chilien a déjà payés. La demande a été adressée à l’ancien président néolibéral du Chili, Sebastián Piñera, qui l’a transmise au nouvel élu, Gabriel Boric. En septembre 2017, alors qu’il était député, ce dernier avait invité le gouvernement de Michelle Bachelet à mettre fin à cet héritage de la dictature.
Pour faire avancer le dossier, une pétition internationale a été lancée. Celle-ci rappelle qu’il existe au chili «une concentration du marché de l’édition et un monopole idéologique» et que «le système médiatique parle d’une seule voix concertée pour défendre le statu quo social et économique imposé par la dictature militaire, poursuivi par tous les gouvernements suivants».
Pétition à signer sur
https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSdGySPTGaRvb2YWb6yDZvJA4CZKe6_LtGigMxnf1eIGN08maw/viewform?vc=0&c=0&w=1&flr=0&fbclid=IwAR1MYiBGYp2IO6UB-TfGYhM43uS_XjHY8MjzHgpTtBbtWVw81rbjK46wl3c