La biodiversité au défi des espèces invasives

Environnement • En Suisse et dans le monde, certaines espèces exotiques de flore et de faune peuvent menacer la nature.

La renouée du Japon est actuellement l’une des plantes les plus envahissantes au monde. (Pixnio)

Dans nos villes, il prospère. Originaire de l’est de l’Amérique du Nord, le sumac de Virginie ou vinaigrier (rhus, selon sa classification botanique) s’installe facilement, ses pousses croissent rapidement. «Arbuste peu exigeant, son potentiel d’expansion est élevé grâce à l’efficacité de ses divers modes de reproduction et à l’absence des ravageurs et des maladies. Il est très concurrentiel envers les espèces indigènes et possède un réseau des racines traçant (peu profond) et très étendu», précise Infoflora, Centre national de données et d’informations sur la flore de Suisse. Il est aussi facile à reconnaître par l’odeur un peu malodorante de ses feuilles, qui contiennent du latex. Son bois n’a pas de valeur. Il attire aussi de nombreux insectes pollinisateurs exerçant une concurrence non négligeable sur la pollinisation des plantes indigènes. Le sumac fait partie des nombreuses plantes invasives que connaît la Suisse. Selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), sur environ 4000 espèces de la flore sauvage de Suisse, 750 sont exotiques et 88 sont envahissantes et potentiellement envahissantes, ce qui fait un pourcentage de 2,2% de la flore totale.

Face à cette situation, la Suisse s’est dotée d’une Ordonnance sur la dissémination dans l’environnement (ODE), entrée en vigueur depuis octobre 2008. Ses missions: l’information et la sensibilisation, l’endiguement et la lutte contre les espèces invasives. Son article 52 stipule que «si des organismes pouvant mettre en danger l’être humain, les animaux ou l’environnement ou porter atteinte à la diversité biologique et à l’utilisation durable de ses éléments apparaissent, les cantons ordonnent les mesures requise pour les combattre».

L’ordonnance est dans le fil de la la Convention sur la diversité biologique, traité international juridiquement contraignant. Celle-ci stipule dans son article 8h, qu’il convient que «chaque Partie contractante, dans la mesure du possible et selon qu’il conviendra, empêche d’introduire, contrôle ou éradique les espèces exotiques qui menacent des écosystèmes, des habitats ou des espèces».

Outre la flore, la faune est aussi concernée du fait que de nombreuses espèces animales exotiques sont présentes en Suisse comme le relève un rapport de l’OFEV (1). Parmi les plus dévastateurs figurent la moule quagga, la crevette tueuse, la tortue de Floride et parmi les insectes, le capricorne asiatique, le scarabée japonais, le moustique tigre, le frelon asiatique. Prochaine sérieuse menace: la fourmi de feu, originaire d’Amérique du Sud, mais répandue en Australie, en Chine, dans les Caraïbes et aux États-Unis. qui prospère déjà en Sicile.

Des coûts de 423 milliards de dollars par an

«Les espèces exotiques envahissantes constituent une menace mondiale majeure pour la nature, les économies, la sécurité alimentaire et la santé humaine», vient tout juste d’alerter la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), sorte de « GIEC de la biodiversité », fondée en 2012 et basée en Allemagne.

Sous l’égide des plusieurs organisation onusiennes comme l’UNESCO ou la FAO, sa mission est de jouer un rôle d’interface et de vulgarisation scientifique entre l’expertise scientifique et les gouvernements sur les questions écosystémiques.

Dans son dernier rapport, rédigé par 86 experts de 49 pays, elle explique que plus de 37’000 espèces exotiques ont été introduites dans des régions du monde entier et dans des biomes , soit des vastes régions biogéographiques s’étendant sous un même climat. Sur ce chiffre, plus de 3’500 d’entre elles sont des espèces exotiques envahissantes nuisibles, «qui menacent gravement la nature, les contributions de la nature à l’homme et une bonne qualité de vie, notamment par des maladies telles que le paludisme, le Zika et la fièvre du Nil occidental».

Le rapport montre que 34% des impacts des invasions biologiques ont été signalés dans les Amériques, 31% en Europe et en Asie centrale, 25% en Asie et dans le Pacifique et environ 7% en Afrique. La plupart des impacts négatifs sont signalés sur les terres (environ 75%) – en particulier dans les forêts, les zones boisées et les zones cultivées – et beaucoup moins dans les habitats d’eau douce (14%) et marins (10%). C’est sur les îles que les espèces exotiques envahissantes sont les plus nuisibles, le nombre de plantes exotiques dépassant désormais celui des plantes indigènes sur plus de 25% de l’ensemble de ces dernières. Cette propagation d’espèces nuisibles a aussi un impact économique. L’IPBES le chiffre à 423 milliards de dollars par an en 2019, «les coûts ayant au moins quadruplé à chaque décennie depuis 1970».

«Alors que 80% des pays ont des objectifs liés à la gestion des espèces exotiques envahissantes dans leurs plans nationaux pour la biodiversité, seuls 17% d’entre eux disposent de lois ou de réglementations nationales traitant spécifiquement de ces questions. Cette situation accroît également le risque d’invasion par des espèces exotiques pour les États voisins. 45% des pays n’investissent pas dans la gestion des invasions biologiques», regrettent les experts de l’IPBES.

L’organisation se veut pourtant optimiste quant à la circonscription de cette menace, avec quelques règles de base: «La prévention est absolument la meilleure option, la plus rentable, mais l’éradication, l’endiguement et le contrôle sont également efficaces dans des contextes spécifiques. La restauration des écosystèmes peut également améliorer les résultats des mesures de gestion et accroître la résistance des écosystèmes aux futures espèces exotiques envahissantes. En effet, la gestion des espèces exotiques envahissantes peut contribuer à atténuer les effets négatifs d’autres facteurs de changement», a insisté Anibal Pauchard (Chili), coprésident de l’évaluation.

La réussite des programmes d’éradication dépend, entre autres, du soutien et de l’engagement des parties prenantes, des populations autochtones et des communautés locales.

(1) https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/biodiversite/publications/publications-biodiversite/especes-exotiques.html

(2) https://www.ipbes.net/IASmediarelease

Infos complémentaires sur https://www.infoflora.ch/fr/