La caisse unique, tout bénéfice pour la santé publique

Elections fédérales • En 2024, les primes augmenteront de 8,7 % en moyenne. Nago Humbert, fondateur de Médecins du Monde, responsable de l’Observatoire éthique et santé humanitaire à Neuchâtel, professeur agrégé à la faculté de Médecine de l'université de Montréal, défend le principe d’une caisse unique publique.

La caisse unique permettra une baisse du prix des médicaments, estime Nago Humbert.(Mario Del Curto)

En comparaison internationale, les Suisses sont de ceux qui contribuent le plus de leurs poches aux frais de santé. En 2024, les primes augmenteront encore. Ce système de fonctionnement d’assurance est-il encore tenable ?

Nago Humbert Je pense qu’on est arrivé au bout des possibilités de financement par la population, d’autant plus que le système est injuste car les primes ne sont pas proportionnelles au revenu. Les solutions actuelles à Berne consistent à augmenter les subsides des cantons pour les plus bas revenus, c’est-à-dire en passer par l’argent public et les impôts pour finalement financer les caisses maladie, ce qui ne résout rien. On refinance un système qui ne fonctionne pas au lieu de prendre le problème à bras-le-corps pour le refonder. Depuis ce printemps, je parle de relancer le projet de caisse unique publique. En juin, j’en ai parlé au POP neuchâtelois et à des conseillers nationaux socialistes, qui sont prêts à aller de l’avant.

Outre la gauche, certains à droite sont prêts à suivre ce projet. En quoi une caisse unique est-elle une bonne solution ?

La caisse publique réduira le nombre de décideurs, ce qui permettra de faciliter la direction du système. Reprenons le système de la Suva, de l’assurance obligatoire contre les accidents et les maladies professionnelles, qui fonctionne extrêmement bien. En réduisant le nombre d’interlocuteurs, on augmente le pouvoir de discussion et l’influence de la caisse par exemple sur le secteur pharmaceutique.

La caisse unique va aussi permettre de mieux gérer les prestataires de soins et offrir un meilleur contrôle. Sur la longueur et parce qu’ils auront toujours la certitude d’être payés, les médecins se rendront compte qu’il est préférable d’avoir un prestataire public, avec qui on peut discuter. Cette solution offrira aussi une gestion correcte du système au profit du patient, ce qui est le plus important. Au final, la concurrence tant vantée par les caisses et la droite ne fonctionne pas. On est dans une fausse liberté du commerce, du fait qu’on est tous obligatoirement assurés et heureusement, où des caisses vont jusqu’à faire de la publicité pour leur enseigne à la télévision avec nos primes. Ce qui est incompréhensible, car on fait croire à la population qu’ils ont le choix comme si c’était un supermarché de produit santé.

Cette caisse doit être instaurée par cantons ou au niveau national ?

Il faut d’emblée l’instaurer au niveau national. Nos chances de succès dans les urnes sont bonnes. Un récent sondage montre que 80 % du peuple soutiendrait un tel projet, même en Suisse alémanique, du fait que les assurés sont aussi sous l’eau.
Par ailleurs, l’on souffre déjà d’une concurrence idiote entre hôpitaux publics, ajouté à l’entrée du privé dans le secteur comme on peut le voir avec le rachat d’hôpitaux comme ceux de Moutier et de Saint-Imier par le groupe Swiss Medical Network (GSMN) qui visent avant tout le profit. Pour moi, il est inconcevable et éthiquement impensable de faire de l’argent sur les soins et les pathologies de ceux qui souffrent. Tout le monde doit gagner correctement sa vie, mais un système public est là pour soigner les gens et pas pour faire de l’argent.

Les assureurs justifient invariablement leurs hausses de primes par les «coûts qui augmentent». Ce discours vous convainc-t-il, alors que, par exemple, de gros efforts souvent à la hache de restructuration hospitalière ont été menés dans les cantons ces dernières années ?

Je suis assez dubitatif avec ces arguments. On ne sait pas très bien ce qui se passe et on n’a pas de contrôle. Une caisse unique permettra d’avoir une transparence sur les coûts. Récemment, le directeur des HUG faisait part de son incompréhension face à leurs hausses et de l’opacité de gestion des caisses-maladie, les HUG étant revenus aux coûts d’avant la Covid. Encore une fois, les prestataires privés n’ont pas le mandat de soigner toute la population et ils n’ont pas à supporter des coûts de formation, les médecins, les infirmières et les autres professions de la santé se formant dans les hôpitaux publics. Avec le système actuel, chacun tire la couverture à soi et on n’a pas de vision d’ensemble. Cela va mal finir. On doit aussi être vigilant sur l’agitation politique. Le lobby des assureurs à Berne pose problème et un vent de réforme à l’envers et égoïste plane sur les chambres fédérales. Une conseillère d’Etat zurichoise UDC propose même de supprimer l’assurance obligatoire, alors que les moins aisés et les classes moyennes sont étranglées par les frais et le PLR propose une assurance à deux vitesses se basant sur l’adage : « Il vaut mieux être riche et en bonne santé que pauvre et malade » qui rompt avec l’esprit mutualiste et de solidarité d’une couverture universelle des soins de santé pour tous.

Une autre proposition serait de financer l’assurance-maladie par l’impôt ?

Au Québec, un pays que je connais bien, ce financement par l’impôt fonctionne relativement bien. C’est le système de santé qui dysfonctionne. Un des problèmes est que l’on a cassé la première ligne. C’est aussi le cas en Suisse, où l’on dénombre 70 % de médecins spécialistes contre 30 % de généralistes. On marche sur la tête, cela devrait être le contraire. Cela induit une cherté du système et renforce le désinvestissement de l’État et des cantons dans les structures de soins. Des milliers de lits ont été fermés ces dernières années. Depuis 2012, avec l’instauration du Diagnosis related groups (DRG), les hôpitaux ne sont plus financés par des forfaits journaliers par journées d’hospitalisation, mais sur la base de leurs prestations pour les patients par pathologie. D’un côté, l’Etat couvre les déficits et de l’autre, il pousse les hôpitaux à ne prendre que les bons cas, ceux qui rapportent auprès de l’assurance. C’est un fonctionnement non seulement aberrant, mais surtout totalement psychotique. Avec le vieillissement de la population, les patients doivent rester plus longtemps à l’hôpital. Mais comme ils coûtent et ne rapportent rien selon la vision économiste de la santé, on les pousse rapidement hors de l’hôpital, ce qui peut avoir parfois des conséquences très dangereuses pour leur santé.

Une meilleure prévention pourrait-elle faire baisser les coûts. En fait-on assez en Suisse ?

En Suisse, il y a encore peu de prévention, d’éducation à la santé, de médecine du travail et de programme de santé publique. On est dans une médecine de profit. Cela ne fonctionne pas. Si nos soins sont de bonne qualité, on constate aussi une pénurie de personnel de santé. L’Association suisse des infirmièr.es (ASI) estime qu’il faudrait former entre 25.000 et 30.000 infirmièr.es d’ici 10 ans. Nous faisons venir des médecins formés à l’étranger. La Suisse en profite, en gagnant sur les deux tableaux, mais pour les pays d’origine des médecins c’est la double peine : on les soustrait des pays qui en ont besoin et on ne paie pas leur formation. C’est scandaleux que notre pays ne forme pas assez de personnel pour soigner sa propre population. Dernière chose, on manque aussi de développement dans les soins à domicile. Il faut favoriser l’hospitalisation à domicile (HAD), tout en maintenant le caractère hospitalier, ouvert à tous, de l’hôpital.

Le prix des médicaments est élevé en Suisse. Comment faire ?

Il n’y a pas de transparence sur le prix du médicament en Suisse. Il n’est pas normal que le même médicament soit vendu trois fois plus cher, parfois plus, en Suisse qu’à l’étranger avec des marges si excédentaires. La pharma justifie leurs prix élevés par l’investissement dans la recherche et le développement, or il est avéré que la recherche en priorité se fait dans les hôpitaux et les centres de recherches universitaires et qu’elle est donc financée par des fonds publics. Les frais de marketing de la pharma dépassent très largement le budget de la recherche. Une caisse unique permettrait de faire pression sur les multinationales pour faire baisser le prix des médicaments.