La neutralité menacée en Irlande

International • La Suisse n’est pas le seul pays poussé à abandonner sa neutralité. En Irlande, la pression est forte pour se rapprocher du partenariat militaire du PESCO. (Par Andy Snoddy et Brian Campfield)

Le président irlandais, Michael D. Higgins, défend la neutralité. (The Irish Labour Party)

Les Etats-Unis, l’OTAN, l’Union européenne et l’industrie suisse de l’armement font de plus en plus pression pour que la Suisse rompe avec une tradition séculaire d’Etat neutre et mette fin à l’interdiction d’exporter des armes suisses vers les zones de guerre. Les acheteurs d’armes suisses ne peuvent légalement pas les réexporter, une restriction qui, selon certains représentants de l’importante industrie d’armement du pays, nuit au commerce. Mais la neutralité suisse n’est pas la seule à être attaquée. La Suède et la Finlande ont abandonné la neutralité pour rejoindre l’OTAN et en Irlande, les partis de centre et de droite font pression pour modifier le statut de neutralité de l’Irlande.

Contrairement à la Suisse, l’Irlande n’a pas une longue histoire de neutralité. L’Irlande n’est devenue indépendante qu’en 1922, à la suite de la guerre d’indépendance irlandaise. Toutefois, le traité de paix a laissé six comtés du nord-est sous domination britannique. La décision de l’Irlande de devenir un pays neutre a été prise à l’approche de la Seconde Guerre mondiale, lorsque le président irlandais a clairement indiqué que l’Irlande ne se battrait pas aux côtés des Britanniques tant qu’ils occuperaient l’Irlande du Nord.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Irlande a résisté aux pressions exercées par les Etats-Unis et d’autres pays pour qu’elle rejoigne l’OTAN et, par conséquent, n’a pas reçu de financement au titre du plan d’aide Marshall. La neutralité irlandaise est mise en œuvre d’une manière très différente de celle de la Suisse. Il n’y a pas d’industrie d’armement en Irlande, donc pas de problème d’exportation d’armes. Contrairement à la Suisse, la petite armée irlandaise a participé, à partir de 1960, à des missions de maintien de la paix de l’ONU, notamment au Congo, à Chypre et, depuis 1978, des milliers de soldats irlandais ont servi dans les forces de maintien de la paix de l’ONU sur les hauteurs du Golan, au Liban.

Bataille titanesque

Le peuple irlandais fait cependant l’objet d’une campagne astucieuse visant à absorber le pays dans une alliance militaire. Le gouvernement de centre-droit profite de la guerre entre l’Ukraine et la Russie pour tenter d’intégrer l’Irlande dans le grand projet militaire européen. Le gouvernement avait déjà approuvé la participation de l’Irlande à plusieurs volets de la PESCO (Coopération permanente en matière de sécurité). La PESCO est l’architecture de sécurité de l’UE en cours de développement, la première étape vers une armée européenne. Les partis d’opposition de la législature irlandaise s’y sont opposés. En s’appuyant sur la crise ukrainienne, le gouvernement irlandais a malgré tout créé un groupe d’experts, présidé par une militante connue des opérations militaires passées de l’OTAN, Dame Louise Richardson. Le groupe est composé d’ « experts », dont beaucoup ont un parti pris pour l’OTAN et le projet militaire européen.

Le président de centre gauche de la République d’Irlande, Michael D. Higgins, a récemment critiqué publiquement l’approche du « groupe d’experts ». Bien que la présidence ait des pouvoirs politiques très limités, son intervention a été soutenue par la gauche de la politique irlandaise et a indigné l’establishment. Une bataille titanesque a cependant commencé entre les forces qui veulent que l’Irlande abandonne cet héritage important et celles qui veulent maintenir sa neutralité.
Jusqu’à présent, le Sinn Fein a été un fervent défenseur de la neutralité irlandaise et s’est opposé à l’implication de l’Irlande dans la PESCO. Certains signes indiquent un affaiblissement de la position du Sinn Fein. Suite à l’intervention courageuse et nécessaire du Président Higgins, la pression populaire doit être renforcée pour s’assurer qu’il n’y ait pas de dérive supplémentaire vers l’intégration de l’Irlande dans le projet militaire de l’UE.