Les règles investiguées

Expo • Laia Abril croise photographies, archives et statistiques pour questionner les mythes et réalités liés aux règles.

Menstruation Myths (2018-23) Laia Abril, Les Filles du Calvaire

L’artiste catalane aborde les questions féministes entre sociologie, neurobiologie, anthropologie et histoire dans une perspective transhistorique. Son approche est forensique avec une phase préparatoire visant à la recherche de sources et témoignages notamment. Cette ancienne journaliste est sur le point d’achever une Histoire de la misogynie en faisant dialoguer textes, images, archives et vidéos pour créer des récits polyphoniques et troublants. Cette histoire est divisée en plusieurs chapitres : le viol, l’avortement et, récemment exposée à Photo Elysée, l’hystérie de masse ou réaction aux circonstances imposant aux femmes un grave stress ne leur permettant plus de s’exprimer verbalement et émotionnellement.

Autre chapitre présenté à L’Appartement-Espace Images Vevey, On Menstruation Myths (Sur les mythes menstruels) est une recherche sur les difficultés, préjugés, stigmatisations et interdits touchant les femmes menstruées dans des sociétés méprisant, voire passant sous silence ce processus biologique. Ainsi 95 % des filles reconnaissent manquer l’école du fait de leurs règles selon plusieurs études en Asie, Moyen-Orient et Afrique, alors que les menstruations sont souvent associées par les filles à une maladie dans certains pays.

Le bleu se mêle au rouge dans les tirages exposés. Ce choix interroge la pub pour protections hygiéniques qui euphémise le rouge sanguin en bleu. Ce dont témoigne aussi un court-métrage d’animation pédagogique avec du sang blanc réalisé pour les écoles primaires étasuniennes en 1946 par Disney, sous commande d’une marque de serviettes hygiéniques et tampons. Il est visible aux toilettes relookées de fourrures synthétiques bleues pastel de L’Appartement et sur YouTube. A en croire le commentaire condescendant, les jeunes femmes se garderont de manifester aucun signe de syndrome prémenstruel (150 variantes selon des spécialistes), du coup de blues aux sautes d’humeur. Aux yeux de l’artiste, ce « cycle biologique est souvent lié à l’aliénation et la honte. La façon dont les sociétés envisagent les règles s’intègre dans une histoire de la misogynie et de l’hystérie de masse ». Côté mythes, c’est un défilé aux couleurs de l’Absurde. Du conseil d’éviter de fréquenter les garçons au péril d’augmenter le niveau des règles à l’interdiction de couper ongles et cheveux sous la menace d’être tourmentée par de mauvais présages. Prise à la Réunion, l’image du squale vient rappeler le péril de se baigner en temps de cycle menstruel. Elle fait écho à la section Euphémismes de l’exposition, rappelant que le cycle prend l’appellation populaire italienne de Mar Rosso.

Emprise masculine

La recherche questionne le fait que les hommes ont inventé des mythes et rites destinés à exorciser et contrôler le féminin fréquemment jugé maléfique. Les rites sont sociaux et visent à l’isolement et à l’exclusion du monde du travail. Mais ils sont aussi médicaux d’expulsion et religieux à but purificateur. Cette culture patriarcale a imposé l’idée erronée d’un phénomène impur et tabou. Les conséquences en sont graves : désorientation des femmes condamnées au mutisme et apeurées par le fait d’aller à l’école. « Les fortes douleurs des menstruations sont mésestimées et s’accompagnent de maladies gynécologiques peu investiguées. C’est précisément la méconnaissance et les archétypes fallacieux qui pérennisent la souffrance des femmes », avance l’artiste. En 2022, l’ONG Plan International France révèle que deux tiers des filles soutiennent que les règles demeurent un tabou suscitant moqueries et humiliations.

Parmi les métaphores visuelles, l’image de la lune illustre le rapport controversé entre cycle lunaire et menstruel tandis que celle des cellules sous microscope témoigne de la gonorrhée du col de l’utérus incluant des saignements entre les règles. « Les conséquences de ces croyances mythiques sont désastreuses pour les femmes. Ainsi relativement à leur santé ou l’accès à certaines professions », relève Abril. Elle dénonce la non-disponibilité gratuite du matériel hygiénique et des traitements souvent non remboursés par les assurances et d’un coût prohibitif. Cette précarité menstruelle est une réalité affectant de nombreuses femmes dans le monde avec un risque accru d’infections.

On Menstruation Myths. En collaboration avec Photo Elysée Lausanne. L’Appartement-Espace Images Vevey. Jusqu’au 5 nov.