L’interprétation de la Grève générale est cruciale

Livre • Mi-septembre est paru, aux éditions Antipodes, un livre historiographique passionnant, « Willi Gautschi et la Grève générale de 1918 », de l’historien suisse Séveric Yersin. Le 12 octobre prochain à Genève, «Voix Populaire» organise une table ronde en sa présence.

Grève générale, Zurich. (DP)

Le 12 novembre 1918, la Grève générale éclate, elle durera trois jours avant que la capitulation soit prononcée. Les cheminots bloquèrent les trains dans pratiquement tout le pays et 250’000 ouvriers et ouvrières non violents firent grève sur appel du Comité d’Olten, porteur d’un programme revendicatif. Pour les contenir, le Conseil fédéral envoie quelque 100’000 militaires, armés, qui installent des mitrailleuses dans les villes, souvent accompagnés par des gardes civiques. Bien que le calme règne dans les cortèges et que les affrontements sont rares, à Granges, dans le canton de Soleure, l’armée abat trois jeunes grévistes qui refusent de libérer le trafic ferroviaire, alors que la fin de la Grève est déjà actée. A cette époque, la grippe espagnole fait rage, elle emportera près de 25’000 personnes en Suisse. Les nombreux soldats qui en sont victimes seront, plus tard, cités en exemple dans le développement d’un discours bourgeois dépeignant les grévistes et leurs meneurs en de redoutables bolcheviques, menaces pour l’ordre des structures helvétiques. Après la Grève, la justice militaire met en accusation près de 3’500 personnes, parmi lesquelles les membres du Comité d’Olten et beaucoup de cheminots, 147 seront finalement condamnées.

Des répercussions considérables

Les ondes du choc provoqué par l’événement se font encore sentir aujourd’hui, tant ses conséquences furent importantes. Dans les temps qui suivirent la Grève, différents narratifs sont produits en soutien à des enjeux politiques et sociaux concrets. La crainte bourgeoise d’une nouvelle irruption de la lutte des classes permet ainsi au camp ouvrier de décrocher quelques avancées sociales en votations, malgré la répression : le temps de travail diminue, l’élection à la proportionnelle pour le Conseil national est adoptée et la base constitutionnelle de l’AVS est approuvée en 1925. Forts de leurs succès, les leaders socialistes rompent avec le mode d’action qu’est la grève, abandonnent son interprétation, et sont peu à peu intégrés à l’Etat bourgeois, une fois que leurs éléments les plus révolutionnaires se soient éclipsés, le plus souvent pour aller du côté du Parti communiste (1). Même si le PS n’atteindra le Conseil fédéral qu’en 1943, la voie est désormais tracée pour la politique consensuelle de la paix du travail. Willi Gautschi et la Grève Générale de 1918, finement documenté, opère ces rappels de façon limpide, à l’appui de sources diverses.

Les historiens aussi sont influencés

L’ouvrage de Séveric Yersin se démarque d’autres publications sur la question par son approche centrée sur la figure de l’historien Willi Gautschi. Décédé en 2004, il est l’auteur de plusieurs contributions de référence sur la Grève générale et le premier à consulter des archives historiques sur le sujet. En explorant soigneusement sa biographie, ses correspondances et ses travaux -peu traduits en français- et leurs contextes sociopolitiques respectifs, Yersin nous donne à saisir toute l’importance de l’historicisation d’un tel événement. Comme le dit bien la quatrième de couverture : « Interpréter la Grève générale de 1918, c’est se prononcer aussi sur les grèves et manifestation de son temps -aujourd’hui, les grèves féministes, pour le climat ou pour de meilleures conditions salariales ».

Séveric Yersin, Willi Gautschi et la Grève générale de 1918, éd.Antipodes, septembre 2023, 263 p.
1 S. Yersin, p.64

Table ronde : La Grève générale de 1918 – Actualités et débats autour du mouvement social le plus crucial de l’histoire suisse, jeudi 12 octobre, 19h30 à Uni Mail (Salle 1140), Genève