Le rôle apprécié de la Suisse dans les Accords d’Évian

Livre • L'historien Marc Perrenoud et la bédéiste Bouchra Mokhtari consacrent un livre bien documenté et didactique aux Accords d'Evian de 1962, qui virent la fin de la Guerre d'Algérie.

La délégation Algérienne (FLN) négociant les accords d'Evian. (DP)

Il nous semble que la Confédération, au lieu de prendre clairement parti dans tel ou tel conflit international ou civil, pourrait faire office de médiateur, avec beaucoup plus de dynamisme. Rôle qu’elle a très bien joué, à la grande satisfaction des deux parties, lors de la préparation des Accords d’Évian en 1962. Certes, la Suisse ne participa jamais directement aux discussions, mais en les facilitant et en établissant une relation de confiance entre les émissaires de la France gaulliste et ceux du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), elle contribua à mettre fin à la guerre d’Algérie, qui durait depuis 1954.

C’est à ce processus que l’infatigable historien Marc Perrenoud, spécialiste de l’Algérie où il a d’ailleurs passé son enfance, et la jeune dessinatrice Bouchra Mokhtari viennent de consacrer un livre-BD, genre décidément à la mode ! L’ouvrage, qui semble s’adresser prioritairement à la jeunesse algérienne et suisse, est didactique dans le meilleur sens du terme. Des cartes, des notices biographiques, des extraits de journaux de l’époque, avec les noms de prestigieux journalistes tels que Charles-Henri Favrod, qui dans la Gazette de Lausanne, a fait connaître au public romand les aspirations du peuple algérien, restituent bien le climat de l’époque. On y retrouvera d’autres Vaudois, comme notre camarade Jean Mayerat, qui s’engagèrent avec courage pour la cause de l’Indépendance.

On assiste à toutes les phases de la préparation de la conférence d’Evian. Rappelons que le maire de la cité savoyarde Camille Blanc, considéré comme traître à «l’Algérie française», fut alors assassiné par la tristement célèbre OAS (Organisation de l’armée secrète). On mesure aussi dans le livre le rôle éminent joué par le conseiller fédéral radical Max Petitpierre, partisan d’une Suisse ouverte au monde. N’entrons pas ici dans tous les détails de ce processus diplomatique, qui connut des avancées et des revers. On les apprendra en lisant les pages, très vivantes, de cet opus historique à la portée de tous. Mais on ne saurait éluder un aspect important de la médiation suisse : c’est notre pays qui, au Signal de Bougy et sous forte protection militaire, abrita la délégation algérienne, qui ne voulait pas loger en France. Et ladite délégation était transportée chaque jour à Évian par hélicoptères de notre armée. L’écrivain français Pierre-Henri Simon rendit d’ailleurs à cette action diplomatique et concrète un bel hommage dans le journal Le Monde, sous le titre « Si la Suisse n’existait pas… »

Certes, le rôle positif de notre pays est un peu lourdement appuyé. Il faut dire que l’ouvrage a été réalisé avec le soutien de l’Ambassade de Suisse en Algérie… On pourra discuter aussi de la qualité des dessins. Si les bâtiments concernés (Palais fédéral, hôtels, lieux des rencontres entre les deux délégations) ont été reproduits avec minutie, les postures rigides et les visages des différents personnages sont montrés avec une certaine naïveté, qu’expliquent probablement la jeunesse de l’artiste algérienne et son souci de traiter un sujet grave avec une certaine austérité. Mais finalement, le principal n’est pas là. Il est de faire comprendre aux lectrices et lecteurs un long et difficile processus de négociation, dans lequel, répétons-le, la Suisse a joué un rôle très positif, dont elle pourrait s’inspirer aujourd’hui.

Marc Perrenoud et Bouchra Mokhtari, Le long chemin jusqu’aux Accords d’Évian. Souvenirs de Suisse (1960-1962), avec une préface de Jean Mayerat, éditions barzakh, Alger, 2023, 47 p. Le livre est maintenant accessible en Suisse.