Manifester: un droit élémentaire

Droits devant! • Actuellement, l’organisation et la participation à de manifestations politiques se compliquent dans plusieurs cités suisses. (Par Paola Stanic)

Le droit de manifester est régulièrement entravé en Suisse. (Gustave Deghilage)

Manifester pour exprimer et défendre des idées est un droit fondamental, dont l’exercice doit être le plus libre possible. Actuellement, l’organisation et la participation à de manifestations politiques se compliquent dans plusieurs cités suisses. Récemment, plusieurs villes suisses alémaniques ont interdit tout rassemblement de solidarité avec la Palestine (1). Plus généralement, les autorités n’acceptent pas toujours les itinéraires demandés et confinent les défilés loin des centres-villes et des lieux symboliques. L’on observe aussi des pratiques policières qui se durcissent envers les personnes qui manifestent.

Un exemple : Genève

En 2012, une révision de la Loi sur les manifestations (2) a considérablement restreint le droit de manifester. Le but de cette révision ? Instaurer une responsabilité pénale et civile des organisateurs, avec en arrière-plan un défilé contre l’OMC en marge duquel des troubles à l’ordre public avaient été commis. La loi avait été partiellement retoquée par le Tribunal fédéral (3), qui estimait certaines dispositions contraires aux droits fondamentaux, comme celle qui interdisait l’organisation d’une manif’ pendant un à cinq ans pour quiconque n’avait pas respecté les conditions ou les charges d’un précédent rassemblement. En revanche, la Haute cour avait jugé que la procédure d’autorisation préalable et les sanctions pénales à l’encontre des organisateurs pouvaient être appliquées de manière conforme aux droits humains.

Vraiment ? La Coordination genevoise pour le droit de manifester (CGDM) est d’un autre avis. Ce collectif, fondé en réponse à l’entrée en vigueur de la loi controversée, estime que la législation contrevient à la Convention européenne des droits de l’Homme et qu’elle restreint arbitrairement le droit de manifester. En particulier, une procédure d’annonce – au lieu de l’autorisation actuelle – serait plus conforme. Le Grand Conseil a rejeté, le 13 octobre dernier, un projet allant ce sens (4).

Des pratiques édifiantes

La CGDM rapporte (5) des pratiques édifiantes : La procédure d’autorisation est payante et les frais peuvent être utilisés pour punir les demandes «hors délais» sans nécessairement tenir compte de la situation. La demande d’autorisation de la manifestation en mémoire d’Ali Reza, requérant d’asile mineur qui s’est suicidé dans un foyer d’accueil, a coûté 500.-, le maximum autorisé. Saisie, la justice a annulé les frais, abusifs.

Les sanctions pénales punissent qui omet de demander une autorisation ou ne s’y conforme pas, ou qui manifeste masqué, par exemple. Le montant maximal prévu par la loi est de 100’000.- francs. L’autorité a prononcé plusieurs amendes en lien avec des manifestations pacifiques. Trois jeunes grévistes du climat ont notamment écopé de 650.- francs d’amende et de frais pour avoir participé à un rassemblement devant l’Hôtel de Ville sans avoir demandé d’autorisation.
Le rapport de la coordination relève aussi de nombreux cas de violences et d’intimidations policières.

La CGDM demande de passer de l’autorisation à l’annonce préalable, de permettre les manifestations devant les lieux symboliques et de cesser les poursuites des personnes participant à des rassemblements pacifiques. Et elle n’est pas la seule à s’inquiéter : Amnesty international se préoccupe aussi, dans sa dernière campagne, des restrictions du droit de manifester en Suisse (6). La réputation de «pays des droits de l’homme», surfaite ? Sans respect des droits de réunion et de manifestation, certainement. n

1 https://www.rts.ch/info/regions/autres-cantons/14401310-la-suisse-alemanique-interdit-les-manifestations-liees-au-conflit-israelhamas-ce-weekend.html

2 Loi sur les manifestations sur le domaine public (LMDPu) sur https://silgeneve.ch/legis/index.aspx

3 https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza%3A%2F%2F10-07-2013-1C_225-2012&lang=de&type=show_document&zoom=YES&

4 https://www.blick.ch/fr/news/suisse/projet-de-loi-refuse-la-droite-refuse-dassouplir-la-loi-sur-les-manifestations-a-geneve-id19040034.html

5 La LMPDPu avait fait l’objet d’un premier rapport en décembre 2019. Le second, sur lequel se base le paragraphe suivant, date de septembre 2021, https://ajp-ge.ch/deuxieme-rapport-de-la-coordination-genevoise-pour-le-droit-de-manifester-cgdm/

6 https://www.amnesty.ch/fr/themes/droit-de-manifester/docs/2023/amnesty-lance-une-nouvelle-campagne