Depuis 2006, la Suisse a ratifié le Protocole de Palerme, cadre légal international, signé en 2013 la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains du Conseil de l’Europe et lancé un Plan national sur la question depuis 2017, mais tout n’est pas rose. «La traite aux fins d’exploitation de la force de travail fait rarement l’objet de condamnations dans les tribunaux et les victimes rencontrent des difficultés à obtenir un permis de séjour stable», a relevé la Plateforme à l’occasion de la Journée européenne de lutte contre la traite des êtres humains.
Ces problèmes ont aussi été soulevés dans rapport alternatif rédigé en avril 2023 par l’organe de contrôle du Conseil de l’Europe (GRETA). «Celui-ci fait état fait état d’un manque de sensibilisation des autorités et des institutions; d’une coordination nationale en crise; d’un financement cosmétique; d’une compensation du dommage économique ou du tort moral misérable, voire nulle; de durées des procédures interminables et enfin de l’application du principe de non-sanction au petit bonheur la chance!», a précisé Mirella Falco, secrétaire syndicale au SIT, à l’occasion d’une conférence de presse à Genève sur le même sujet le 17 octobre.
Ces critiques sont corroborées par Me Céline Moreau. «Le Code pénal suisse n’est pas très précis sur la définition de la traite, ce qui nous expose à une interprétation restrictive de la notion. C’est bien ce qui se passe dans la pratique des tribunaux. Ceux-ci considèrent souvent que les personnes qui ont consenti à venir en Suisse ou dont l’exploiteur n’a pas saisi leur passeport, ne sont pas victimes de traite», explique-t-elle, tout en appelant à la création d’un fonds ou l’extension de la couverture du fonds existant pour les victimes d’infractions (LAVI), pour couvrir les créances salariales des lésés. «Nous voyons que dans des secteurs très exposés comme l’économie domestique ou la construction, la question de l’exploitation par le travail est souvent plus assimilée à une question de droit du travail alors qu’elle relève également du droit pénal», constate aussi Me Céline Moreau. «Le processus est déficient et dissuasif. Sans protection des victimes et garantie sur les permis de court séjour pour témoigner, celles-ci sont condamnées d’avance au silence», renchérit Mirella Falco.
Toutes ces raisons font que peu s’adresse à la justice. Il en va ainsi de Bekim* et d’Endrit*, tous deux Kosovars travaillant dans le secteur du second œuvre et présents durant la conférence de presse. Sans statut légal, ils ont travaillé pendant deux mois sans recevoir de salaire. Quand ils ont réclamé leur argent auprès, le premier a été roué de coups, le deuxième menacé de mort.Ils sont actuellement sans revenu.
Mêmes difficultés pour Ali*, qui a travaillé dans un restaurant jusqu’à 14 mois sans un jour de vacances, environ 12 heures par jour, 6 jours sur 7, sous-déclaré, sous payé. Après 6 ans à ce poste, il est tombé gravement malade. Sans papiers, il n’a jamais osé porter son cas devant les tribunaux de peur d’être dénoncé pour absence d’autorisation de séjour et d’être expulsé.
(1) La traite des êtres humains consiste à recruter des personnes, à les transférer, à les entremettre par le biais d’intermédiaires, à les héberger ou les accueillir en vue de leur exploitation par des moyens illicites. Cette exploitation comprend la prostitution, l’exploitation de la force de travail et le prélèvement d’organe.