Notre air sous haute surveillance

Environnement • Une récente enquête du journal The Guardian a tiré la sonnette d'alarme sur la question de la qualité de l'air en Europe. Entretien avec Aline Staub Spörri, directrice du Service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants de l’Office cantonal de l’environnement (OCEV-SABRA) à Genève.

En 2013, l'aviation était responsable de 7 % des émissions d'oxydes d'azote.(Skórzewiak)

Fin septembre, le journal The Guardian (1) sortait une enquête sur la pollution aux particules fines PM2.5, sur la base de données compilées par l’université d’Utrecht aux Pays-Bas, et de l’Institut tropical et de santé publique suisse. Celle-ci révélait une situation inquiétante : 98 % de la population européenne vivait dans des zones où la pollution par les particules fines, très nocive, dépasse les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. Ces recommandations stipulent que les concentrations moyennes annuelles de PM2,5 ne doivent pas dépasser 5 microgrammes par mètre cube (µg/m3).
Le pays le plus touché en Europe est la Macédoine du Nord. L’Europe de l’Est (notamment la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie et Nord de la Grèce) est nettement plus impactée que l’Europe occidentale, à l’exception de l’Italie, où plus d’un tiers des habitants de la vallée du Pô et des régions avoisinantes respirent un air quatre fois plus chargé en particules en suspension que les valeurs fixées par l’OMS. Quid de la Suisse ?

Comment se porte la qualité de l’air sur le Plateau suisse et notamment à Genève. Quels sont les plus gros polluants dans le canton et avec quels secteurs sont-ils liés ?

Aline Staub Spörri Nous publions tous les ans un rapport de la qualité de l’air à Genève. Le dernier publié est le rapport de la qualité de l’air 2022 (publié en juin 2023) (2). Dans ce dernier, l’analyse des données indique que la qualité de l’air mesurée pendant l’année écoulée s’inscrit dans la tendance favorable notée ces dernières années, bien que les exigences légales ne soient pas encore totalement satisfaites, en particulier pour les particules fines et l’ozone.

Les polluants à suivre sont l’ozone, les particules fines (de taille inférieure à 10 microns ou PM10 et de taille inférieure à 2.5 microns ou PM2.5) et le dioxyde d’azote. Nous suivons également le dioxyde de soufre (SO2), le monoxyde de carbone (CO) et les métaux lourds dans les retombées de poussières. Les principales sources de la pollution atmosphérique actuelle sont le trafic routier, le hors route (machines agricoles, de navigation, de chantier/construction, d’horticulture/loisirs, militaires et de l’artisanat), les chauffages, l’industrie, l’aéroport.

Quels sont les dangers spécifiques des particules fines, notamment des PM2.5 ?

La taille des poussières est déterminante quant aux effets qu’elles induisent sur la santé. Alors que les plus grosses (supérieures à 10 microns) sont arrêtées par les voies respiratoires supérieures, les particules fines ont un plus fort impact sur la santé humaine : elles peuvent pénétrer dans le système respiratoire, d’autant plus profondément qu’elles sont petites, et ce jusque dans les alvéoles pulmonaires, voire ensuite dans les vaisseaux sanguins et lymphatiques. Les PM2.5 étant plus petites que les PM10, elles peuvent donc pénétrer plus profondément.

Comment contrôlez-vous la qualité de l’air ? Et à quelle fréquence ? Constatez-vous une augmentation des pics de pollution ou non dans le canton ?

La mesure de la qualité de l’air est effectuée à l’aide du réseau d’observation de la pollution atmosphérique à Genève (ROPAG) qui mesure 24h/24h et 365j/365j la concentration des polluants atmosphériques et qui fait partie du service de l’air, du bruit et des rayonnements non-ionisants (SABRA), qui lui dépend de l’office cantonal de l’environnement (OCEV).

Nous avons actuellement 4 stations fixes (une à Necker pour la mesure de la pollution de l’air en zone urbaine, une à Meyrin et une autre au Foron pour la zone suburbaine, et une troisième à Passeiry pour la zone rurale). Nous avons également un réseau de capteurs passifs qui mesurent la pollution (de fond) due aux oxydes d’azote.

Concernant les pics de pollution, nous disposons à Genève d’un dispositif d’urgence spécifique qui introduit la circulation différenciée en cas de pics de pollution, selon des critères de déclenchement bien définis par un règlement cantonal. Ce dispositif vise à améliorer la qualité de l’air afin de protéger la santé de la population genevoise lors des pics de pollution. Depuis son introduction en janvier 2020, il n’a été déclenché qu’une seule fois (janvier 2020).

Est-ce que le changement climatique, notamment la hausse des températures, a un effet sur la pollution à l’ozone ?

L’ozone a besoin d’autres polluants pour se former ainsi que de fortes chaleurs et d’ensoleillement. Le réchauffement climatique pourrait donc contribuer à l’augmentation de ce gaz. Il est cependant trop tôt pour avoir une certitude. En effet, parallèlement et par exemple, le taux de dioxyde d’azote, polluant qui est un précurseur de l’ozone, a chuté ces dernières années. S’il y a moins de précurseurs dans l’air, il y aura moins d’ozone.

Quelles sont les normes suivies en matière de pollution de l’air, celles de l’OMS, de la Confédération ?

Le cadre légal auquel nous nous référons pour la mesure de la pollution de l’air est l’Ordonnance fédérale sur la protection de l’air (OPair). Cette ordonnance définit des valeurs limites d’immission3 à ne pas dépasser en termes de concentration de polluant moyennées sur une journée et sur une année, et aussi limite le nombre de dépassements annuels de ces limites. Il est à noter que les normes fédérales sont susceptibles d’être adaptées en fonction des progrès des connaissances, ainsi, par exemple les PM2.5 ont été ajoutées à la liste des polluants dans l’OPair en 2018.

Quels sont les moyens pour réduire la pollution, notamment les particules fines ? Pourriez-vous préciser en quoi consiste le programme OPair 2018-2023 ? Ses buts et modalités ?

Pour réduire la pollution, des actions à la source des polluants sont primordiales. Ainsi, comme dans le Plan OPair décrit ci-dessous, des mesures doivent être prises au niveau des sources les plus émettrices : rejets de polluants des chauffages, des installations industrielles, des véhicules à moteur, des machines de chantier… On peut citer au niveau cantonal les efforts dans le domaine de l’assainissement des installations existantes de chauffage.

Le Plan de mesures OPair 2018-2023 permet au canton de Genève de se donner tous les moyens de parvenir à réduire la pollution de l’air sur son territoire et à améliorer le bien-être et la santé de sa population, dans le meilleur équilibre possible entre l’ensemble des politiques publiques concernées. Il constitue l’instrument de mise en œuvre des mesures d’assainissement de la qualité de l’air prévues par la Stratégie cantonale de protection de l’air 2030. Intégrant toutes les politiques publiques concernées, ce plan vise notamment à assainir plus spécifiquement les zones du canton où la qualité de l’air est la moins satisfaisante et à lutter efficacement contre les principales sources de polluants atmosphériques, avec un accent particulier à l’encontre des particules fines.
Il s’inscrit dans la succession de plusieurs plans depuis plus de 30 années à Genève. Il comprend 15 mesures qui concernent les domaines de la mobilité, les industries et l’artisanat, les chauffages, la santé et l’aéroport.

En quoi consiste le Pact’air ?

Pact’air est un projet Interreg (interrégional, ndlr) qui avait pour objectif d’élaborer le premier Plan d’actions transfrontalier d’amélioration de la qualité de l’air, composé de mesures temporaires et permanentes. Il s’est déroulé entre 2016 et 2019. Un bilan et une étude des suites à donner sont en cours d’élaboration.

1 https://www.theguardian.com/environment/2023/sep/20/revealed-almost-everyone-in-europe-breathing-toxic-air
2 https://www.ge.ch/document/8928/telecharger
3 Incorporation et accumulation d’une substance, notamment d’un polluant, dans un milieu récepteur.

Les principaux polluants de l’air

Les particules ou poussières en suspension (PM)

On distingue les particules primaires, directement émises dans l’atmosphère des particules secondaires, formées dans l’atmosphère suite à des réactions physico-chimiques. Elles sont particulièrement nocives pour la santé. Elles provoquent des irritations et des problèmes respiratoires chez les personnes sensibles et sont associées à une augmentation de la mortalité (affections respiratoires, maladies cardiovasculaires, cancers, etc.)

Le dioxyde de soufre (SO2)

Le dioxyde de soufre est produit à partir de la combustion d’énergies fossiles (fioul, charbon, lignite, gazole, etc.). C’est un polluant qui provoque une irritation des muqueuses, de la peau et des voies respiratoires (toux, gêne respiratoire, troubles asthmatiques). Il favorise également les pluies acides et dégrade la pierre.

Les oxydes d’azote (NOx)

Les oxydes d’azote regroupent le monoxyde d’azote (NO) et le dioxyde d’azote (NO2). Ils sont émis lors de la combustion : chauffage, production d’électricité, moteurs thermiques des véhicules, etc

L’ozone (O3)

L’ozone est un gaz indispensable à la vie terrestre, qui protège des rayons ultraviolets dans la stratosphère. Dans les basses couches de l’atmosphère (de 0 à 12 km au-dessus du sol), l’ozone est en revanche un polluant atmosphérique nocif pour la santé humaine, les animaux et les végétaux, à cause de son caractère oxydant.

On peut trouver d’autres polluants dans l’air comme les composés organiques volatils (COV) constituent une famille très large de produits comme le benzène, l’acétone, le perchloroéthylène, mais aussi l’ammoniac (NH3), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ou des métaux lourds.