Quand le travail sape la santé

Travail • Face au mal-être des salariés dans une économie capitaliste de concurrence effrénée, la prévention est importante. Existe-t-il d’autres améliorations possibles ? Psychologue FSP, spécialiste en santé au travail et co-autrice du livre « Burn-out, la maladie du XXIe siècle ? », Nadia Droz nous répond.

L'augmentation du burn-out est liée à l’accélération du monde du travail. (Adobe stock)

Selon une étude publiée en septembre par l’assureur Axa, actif dans l’assurance perte de gain, la part des PME fortement touchées en 2022 par des absences dues à des pathologies psychiques a augmenté par rapport à l’année précédente, passant de 21 % à 26 %. Au titre des répercussions directes de ces absences, 54 % des PME interrogées citent en premier lieu une surcharge de travail et des heures supplémentaires pour le reste des effectifs.

Constate-t-on plus de stress et de burn-out (stress chronique) ces dernières années et dans quels secteurs ? Si tel est le cas, comment l’expliquer ?

Nadia Droz Il est difficile de quantifier le phénomène, mais les chiffres du Job stress Index 2022 de Promotion santé suisse sont intéressants. Ils montrent que 25 % des salariés se trouvent dans une zone favorable, avec plus de ressources que de contraintes, 45,4 % en zone dite sensible, soit un équilibre précaire entre ressources et contraintes et 28,2 % en zone critique, devant faire face à plus de contraintes que ne le leur permettent les ressources dont elles disposent. Il faut aussi préciser que le burn-out n’est pas spécialement lié à un secteur d’activité, mais dépend toujours du contexte de travail. Aucun métier n’est finalement protecteur. Le burn-out est une combinaison particulière, et en même temps, entre des dispositions personnelles qui permettent de s’épuiser, un contexte d’activités qui est « favorable » à l’épuisement et des facteurs de stress chroniques dans la vie personnelle et sociale.

Son augmentation est liée à l’accélération du monde du travail, à des conditions d’emploi qui se durcissent et à la pression économique, où il faut faire plus avec moins. La souffrance au travail est souvent due à une surcharge de travail et à l’impossibilité de bien faire sa tâche faute de moyens suffisants. Il faut questionner notre modèle de société qui veut toujours plus rentabilité et croissance. Du fait du manque de main-d’œuvre actuel, il ne faut pas non plus perdre de vue que le problème de remplacement des personnes usées par leur emploi devient plus difficile à résoudre pour les entreprises. Et qu’elles auraient donc intérêt à tenter de garder leurs employés en bonne santé.

Quels sont les facteurs négatifs qui influent sur le travail et peuvent conduire à des situations de mal-être ?

Beaucoup de facteurs entrent en jeu, mais le manque de valorisation et de reconnaissance dans le travail peuvent influer négativement sur l’état de santé. Il en va de même avec les horaires et l’impossibilité de concilier vie professionnelle et familiale ou du fait des rapports à la hiérarchie ou aux autres salariés. Dans les secteurs des services, majoritaires en Suisse, le problème des exigences émotionnelles est aussi une charge. Il peut exister une dissonance émotionnelle entre l’attitude que je dois adopter et ce que je ressens. Une vendeuse doit toujours afficher le sourire et l’empathie, même si elle n’est pas dans ces dispositions.

La Loi sur le Travail stipule que l’employeur doit protéger la santé des travailleurs et respecter les temps de repos. Est-elle suffisante ?

La loi existe, mais elle n’est souvent pas assez respectée. C’est une loi et elle n’offre donc pas de solutions pour mettre en pratique ces exigences. Heureusement il existe de plus en plus d’organismes qui proposent un accompagnement aux entreprises pour respecter la loi et aller plus loin dans l’analyse de ce qui pourrait garder les travailleurs en bonne santé. Même s’il est plus important d’agir sur le contexte et l’organisation de travail, beaucoup d’entreprises proposent uniquement des cours de gestion du stress qui ne changent rien au contexte de travail.

Les assureurs n’ont-ils pas tout intérêt à s’impliquer dans le sujet pour réduire les versements d’une assurance perte de gain ?

Précédemment, les assureurs augmentaient simplement les cotisations en cas de coûts supplémentaires, mais ils ont tendance à s’impliquer de plus en plus dans les entreprises, en proposant des conseils aux entreprises et en accompagnant les travailleurs absents. Leur enjeu est de rechercher des pistes d’amélioration dans la gestion de la santé dans l’entreprise.

Quels sont les moyens pour réduire ce mal-être ? Doit-on en passer par une autre organisation du travail ou des suivis individualisés ?

Le plus simple consiste à réellement impliquer les collaborateurs d’une entreprise et de les écouter, car ils sont les experts de leur métier. Cela est particulièrement important en Suisse, où la culture du travail est avancée et plutôt perfectionniste et où les salariés se surinvestissent dans leur travail. Malgré la Loi, les employeurs sont loin de suffisamment protéger leurs salariés contre ce surinvestissement, qui peut conduire au burn-out. Il est recommandé d’effectuer régulièrement des états des lieux des conditions de travail dans les entreprises. Ceci afin de constater et analyser quels sont les facteurs psychosociaux en présence, tant ressources que facteurs de stress. Dans un mode d’analyse participative on peut trouver des pistes d’amélioration afin de réduire les contraintes et maintenir ou augmenter les ressources.

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