Lynch, clap de fin

Cinéma • David Lynch s’est éteint, laissant derrière lui une œuvre aussi fascinante qu’intrigante, parfois énigmatique, voire irritante.

David Lynch. (Sasha Kargaltsev)

Cinéaste iconoclaste, il a marqué l’histoire du cinéma en mariant quotidien et étrangeté, fantastique et violence, tout en n’ayant réalisé que dix films entre 1977 et 2006. Né en 1946, David Lynch a aussi exploré la peinture, la musique, la photographie et les courts-métrages expérimentaux.

Décédé à 78 ans, son nom reste indissociable d’un univers perturbant et mémorable. L’artiste débute avec des courts-métrages comme The Alphabet (1968) ou The Grandmother (1970). Ils mêlent animation et prises de vue réelles, explorant des thèmes tels que l’angoisse familiale et les cauchemars d’enfance.

Ce fils d’un chercheur pour le Département de l’Agriculture des Etats-Unis (USDA) et d’une professeure d’anglais entre à l’Académie des Beaux-arts de Pennsylvanie en 1965. Il réalise son premier court-métrage Six Figures of Getting Sick (1967) afin d’animer ses peintures. Etudiant en arts plastiques et peintre.

Blue Velvet

En 1977, il sort Eraserhead, un cauchemar urbain déstabilisant. Ce film, baigné de son esthétique noire et de ses atmosphères oppressantes, nous immerge dans un monde de violences psychologiques et de créatures grotesques. Son récit hermétique et ses métaphores parfois lourdes peuvent dérouter.

Ce film annonce son art, marqué par une recherche de l’inconscient à travers une esthétique baroque et inquiétante. Avec le mélodrame The Elephant Man, il s’attaque à un drame humain classique. Ce film biographique sur John Merrick, l’homme éléphant. Son traitement sentimental et académique en fait un film plus conventionnel qu’on ne pourrait l’espérer de lui.

Echec et énigmes

Adaptant le roman culte de Frank Herbert, il se heurte à l’ampleur de la tâche et aux ingérences des studios. Si certaines séquences attestent de son génie visuel, le cinéaste lui-même reniera ce film, qu’il considère comme une déviation forcée de sa vision artistique. Malgré tout, l’esthétique baroque de Dune continue d’influencer certains réalisateurs contemporains.

Après l’échec monumental de Dune, le cinéaste revient en force avec Blue Velvet, un thriller déstabilisant sur les ombres d’une petite ville américaine. Ce film, où la violence et l’absurde se mêlent, continue de diviser, oscillant entre critique sociale et manipulation du spectateur. C’est l’atmosphère suffocante qui domine, certes fascinante, mais parfois grotesque.

On passe de la critique brillante de l’Amérique profonde à un film jouant sur le choc pour masquer une narration artificiellement construite. La réalisation restera une influence majeure dans les univers indécidables, surréalistes voire fantastiques du photographe américain Gregory Crewdson.

L’énergique Wild at Heart, road movie débridé, s’attire une Palme d’or à Cannes mais se distingue par son chaos visuel et narratif, aux prises avec une violence brute et une absence de subtilité. Une Histoire vraie révèle une facette plus lumineuse de son cinéma.

Ce périple intimiste, poétique et endeuillé de 400 km d’un vieil homme en tondeuse autotractée, est une méditation sur la réconciliation et la résilience. L’approfondissement des expérimentations formelles dans Lost Highway, où l’intrigue éclatée mêle thriller et fantastique, annonce Mulholland Drive, son œuvre phare.

Une Histoire vraie

Inquiétante étrangeté

Ce puzzle de l’inconscient, construit autour de l’ambiguïté, séduit par son audace, mais déroute ceux qui recherchent une narration claire. Outre le cinéma, Lynch a influencé la télévision avec la série Twin Peaks, qui mélangeait mystère, onirisme et étrangeté. Le succès de la première saison, marquée par une recherche de sens dans la mort de Laura Palmer, cède ensuite la place à une confusion plus grande dans la suite, poussant toujours plus loin l’expérimentation, comme avec Twin Peaks: The Return, au risque d’aliéner le public.

Lynch était un artisan du malaise, mais aussi un créateur insatiable dans d’autres domaines. Sa peinture et ses photographies, à l’image de ses films, sont peuplées de figures déformées et de paysages inquiétants. Il a aussi exploré la musique, collaborant avec Angelo Badalamenti pour des partitions devenues iconiques, et signant des albums solos marqués par l’expérimentation sonore. Son dernier film, Inland Empire, pousse son art à l’extrême.

 

Inland Empire

Ce projet titanesque, une traversée d’univers parallèles, présente une Laura Dern troublante, perdue dans des réalités se superposant. Bien qu’audacieux, le film se perd parfois dans l’abstraction, laissant une impression d’excès. Lynch laisse derrière lui une œuvre complexe et provocante, divisant l’opinion mais influençant des générations d’artistes.

Du cinéma à la télévision, de la peinture à la musique, son héritage reste omniprésent. De Denis Villeneuve à Ari Aster, nombreux sont les cinéastes et artistes à se réclamer de son influence. Si son œuvre semble parfois tourner en rond, c’est précisément cette répétition qui nourrit son mystère et sa puissance. L’artiste reste un maître du chaos visuel, de l’inconscient et de l’ambiguïté. Loin de se laisser définir, il continuera de hanter nos imaginaires.