L’âme belge de la mer du Nord

Expo • Très apprécié en Belgique, le peintre Léon Spillaert (1881-1946) est moins connu chez nous. La Fondation l’Hermitage lui consacre une très belle exposition à ne pas manquer.

Léon Spilliaert Marine bleue, 1922. (Steven Decroos, Ostende)

l est né à Ostende. Depuis le milieu du XIXe siècle, c’était une station balnéaire très fréquentée par le beau monde, comme Balbec dans l’œuvre de Marcel Proust. Dans l’exposition, un film de 1909 le montre. Spillaert, lui, parcourt les quais en fin de journée, ou la nuit, quand ils sont désertés par leurs habitants et leurs touristes. De naturel introverti et rêveur, il les représente à la clarté de la lune, d’une manière mystérieuse, voire un peu inquiétante, proche du surréalisme et de l’expressionnisme. Pas de couchers de soleil flamboyants comme chez Turner ou Vallotton, mais un ciel toujours voilé au crépuscule. On y retrouve la nostalgie des chansons de Jacques Brel…

Spillaert montre des femmes de pêcheurs qui, les yeux rivés sur l’océan, attendent leurs maris pour vendre le poisson au marché, des hommes qui ne reviendront peut-être jamais, car les naufrages sont fréquents. La mer représente donc pour lui aussi un danger.

Sa grande originalité est qu’il ne fut pas vraiment peintre sur toile se servant de la peinture à l’huile. Il privilégiait comme support le papier et utilisait le lavis d’encre de Chine, l’aquarelle, le pastel et le crayon de couleur. Parmi ses plus beaux paysages, mentionnons La Route royale et les dunes, Marine avec sillage (1907-1909), où l’on voit la fumée du bateau à vapeur s’éloignant, ainsi que sa trace blanche sur l’eau. Spillaert rêvait de voyages, qu’il n’accomplit jamais…

Marqué par le symbolisme

L’artiste fut marqué par le symbolisme des écrivains belges comme Joris-Karl Huysmans, Emile Verhaeren et Maurice Maeterlinck, dont il illustra un recueil. Ils sont représentatifs de l’esprit «fin de siècle». Quant à sa vision de la femme, elle est celle d’une grande solitude. Dans La Buveuse d’absinthe, il montre une demi-mondaine au regard hagard, qui fait penser aux tableaux d’Edvard Munch. Spillaert a aussi pratiqué l’art de la nature morte, fidèle en cela à la grande tradition flamande et hollandaise. Mais il choisit de simples flacons de verre, qui avaient leur place dans le magasin de son père, parfumeur attitré de la famille royale, en utilisant des tons plutôt mats.

Une grande salle de l’exposition est consacrée à ses autoportraits, le plus souvent de trois quarts, réalisés de 1902 à 1915. On y sent une recherche de soi, un travail d’introspection presque « freudien ». L’artiste, en fin de vie, s’essaya à la peinture (aquarelle, gouache, huile). Ses tableaux, comme la Grande Marine bleue de 1924, qui montrent un horizon lointain, font penser aux peintres scandinaves.

On découvrira un travail de commande étonnant, passée par le physicien et constructeur Robert Goldschmidt, qui conçut les premiers dirigeables belges. Ceux-ci, montrés dans leur hangar, ressemblent à d’énormes baleines ou à des monstres marins. L’artiste ne s’est donc pas contenté de les représenter avec réalisme, il leur a ajouté une dimension fantastique.

Les dernières années de sa vie, Léon Spillaert les passa à Bruxelles. Le peintre de la mer remplaça ainsi l’horizontalité des eaux par la verticalité des arbres. Il parcourait en effet les parcs et forêts. Mais ses arbres ne sont jamais fleuris ni feuillus. Ils sont nus, on perçoit leur structure et celle de leurs branches.

L’œuvre de Spillaert présente une grande unité. Certes un peu austère par l’usage privilégié que fait l’artiste du noir-blanc, rehaussé de quelques couleurs, elle séduit cependant, voire envoûte par son originalité et la part de mystère qu’elle recèle. n

« Léon Spillaert. Avec la mer du Nord… », Lausanne, Fondation de L’Hermitage, jusqu’au 29 mai.