Le glaive de la justice est toujours aussi émoussé

Économie •  « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », comme dans la fable de La Fontaine, la réalité montre que la classe politique et les nantis se sont toujours entendus pour se renvoyer l’ascenseur au détriment de la population. (Par Patrick Savioli)

Il y a presque 350 ans, Jean de la Fontaine (1621-1695), écrivait une fable de laquelle est extraite une citation qui est d’une vérité toujours contemporaine (« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », Les animaux malades de la peste, 1678). Cette fable dénonce l’arbitraire de la justice, l’hypocrisie des puissants et l’injustice envers les faibles. Un livre ne suffirait pas à énumérer les innombrables scandales étouffés par la clique politico-juridique, mais certains faits sont plutôt accrocheurs.

Pascal Broulis, illustre auteur de L’impôt heureux et accessoirement ex-conseiller d’Etat dans le canton de Vaud, se veut l’exemple même de la droiture fiscale et du redressement des finances cantonales. Adepte des courbettes face aux multinationales qu’il chérit tant, il prône comme tout bon libéral qui se respecte, la défense des places de travail au détriment de ses administrés, accordant çà et là des réductions (impôts sur le bénéfice) ou forfaits fiscaux à ses chers amis fortunés. A titre personnel, il a quand même réussi à assurer la forte charge de travail d’un conseiller d’Etat en s’imposant quotidiennement plus de 100 km pour rejoindre son village fiscal. Et oui, Pascal Broulis a payé ses impôts, en tout cas une partie, à Sainte-Croix, quand bien même il a un appartement à Lausanne et que son fils y est scolarisé. Et il passe moins de 90 jours par année dans la capitale vaudoise, seuil au-delà duquel il devrait être considéré comme contribuable lausannois principalement.

Quelques mois plus tard, le Conseil d’Etat rend public les résultats de l’inspection fiscale et de deux expertises externes, qui ont été ordonnées pour clarifier la situation fiscale du vertueux ministre des finances cantonales et, bien sûr, tout le monde s’accorde pour clamer qu’aucune stratégie d’optimisation fiscale n’a été mise en place, aucun traitement de faveur et la taxation s’est faite selon le respect des règles et des procédures en vigueur à l’Administration cantonale des impôts.

On peut en penser ce qu’on veut, mais toute cette histoire reste peu claire, surtout quand on sait que les taxateurs ne se privent pas de rectifier la déclaration du simple péquin qui aurait machiavéliquement tenté de déduire quelques frais de transport.

Dans le même registre, celui des petits arrangements entre amis, Pascal Broulis s’est également occupé de la situation fiscale de son « ami » Frederik Paulsen, illustre président du conseil d’administration de Ferring Pharmaceuticals jusqu’en juillet 2021, un des plus riches résidents vaudois avec une fortune estimée à plus de 8 milliards de francs. Ce monsieur est, bien sûr, au bénéfice d’un forfait fiscal, c’est-à-dire qu’il paie des impôts selon un savant calcul basé sur la dépense et non pas sur ces revenus. Donc, on ne va quand même pas embêter quelqu’un qui apporte tellement de bienfaits avec sa société et qui risquerait de partir si on lui demandait de payer plus.

Mais le hic, c’est que M. Paulsen touche des dividendes et que, pour la Confédération, les dividendes sont considérés comme du revenu, mais pas pour Monsieur Broulis. L’affaire est même remontée jusqu’au Conseil fédéral via un avocat qui ne demandait ni plus ni moins que la destitution de M. Huissoud, directeur du Contrôle fédéral des finances (CDF), qui avait osé se pencher sur la validité de cet arrangement fiscal.

Bref, que l’on s’appelle Pascal, Emmanuel ou même Donald, la réalité est que la classe politique et les nantis se sont toujours entendus pour se renvoyer l’ascenseur au détriment de la population.