les partis politiques suisses face à l’électorat depuis 1945

Livre • Un ouvrage paru en mai dernier retrace les campagnes politiques pour les élections fédérales des quatre partis gouvernementaux depuis l’après-guerre, en se focalisant sur certains cantons comme le Tessin, Zurich et Vaud. (Par Blaise Fontanellaz)

Dans l’après-guerre, les clivages socio-historiques semblent gelés et les partis partageant des positions proches, social-démocratie comprise, dues au ciment de l’anticommunisme de la «Défense spirituelle de la Suisse». On assistera toutefois à une professionnalisation des campagnes par l’utilisation notamment, d’abord timide, des sondages qui émergent dans cette période. Ainsi le Parti socialiste suisse (PSS) qui commande secrètement un sondage en 1958. C’est également la période de l’arrivée des agences de publicités proposant des campagnes clés en main. Les spots télévisés, tentés en 1971 ne connaitront pas de suite mais les secrétariats généraux cantonaux et fédéraux s’étoffent en nombre d’emplois permanents. Le Parti radical-démocratique (PRD ancêtre du Parti libéral-radical) modernise le premier ses campagnes dans les années 1980, bientôt supplanté par la section zurichoise de l’Union démocratique du centre (UDC) qui crée des campagnes permanentes.

S’intéressant également à l’électorat, la politologue Zoé Kergomard nous amène dans un passionnant voyage au sein des transformations de ce dernier. Notons ainsi les mutations du PSS, parti de classe partant, à partir de 1959, à la chasse aux employés. Devenu parti petit-bourgeois, il finit par s’éloigner des syndicats en se rapprochant des mouvements issus des radical sixties, notamment pacifistes, féministes et écologistes. Son électorat ouvrier le délaisse petit à petit (une partie non négligeable ira à l’UDC) en même temps qu’il se tourne vers les classes moyennes des domaines sociaux et culturels.

Le Parti démocrate-chrétien s’appuie longtemps sur la contre-société catholique, analysée par l’historien Urs Altermatt, jusqu’à la brutale sécularisation des années 1960 et le Concile Vatican II. Ses tentatives d’ouverture vers l’électorat protestant n’empêcheront pas la fin du milieu catholique-conservateur. Le PDC ne pourra ainsi plus compter sur les grands rassemblements religieux pour mobiliser sa base. Le PRD qui a choisi lui le néolibéralisme en 1983, se fera concurrencer sur ce terrain par une UDC en pleine mutation. Si ses raouts patriotiques tombent en désuétude ce n’est pas ce cas de l’UDC qui réinvente la tradition autour de manifestations populaires sentant bon la nostalgie paysanne tout en misant sur l’affiche pour mobiliser l’électorat. Au niveau suisse, la tendance générale est bien à la centralisation et au rallongement des campagnes.

Cette passionnante étude compte quelques faibles lacunes. On aurait pu également s’intéresser davantage à l’évolution programmatique et idéologique des partis, programmes davantage travaillés à l’UDC et au PSS qu’au centre-droite. Notons, que les partis non représentés au gouvernement sont les grands absents de cette passionnante étude. Enfin, la comparaison internationale aurait pu être davantage abordée, l’américanisation des campagnes étant un peu vite écartée tandis que l’analyse des pays voisins aurait peut-être ajouté quelque ressources supplémentaires à cette recherche.

Laissons toutefois la parole à la jeune historienne pour une dernière analyse: «Les tensions entre les gens «d’en bas» et ceux «d’en haut» ne sont pourtant pas une maladie contemporaine, mais manifestent bien une friction constitutive des démocraties semi-représentatives, indexées sur les inégalités sociales elles-mêmes. Cette tension s’exprime avec plus ou moins de virulence, mais présente aussi un potentiel plus ou moins émancipateur ou réactionnaire selon les situations». Il appartient à notre parti de continuer à mener ce combat émancipateur pour les travailleurs.

Zoé Kergomard, Faire campagne : les partis politiques face à l’électorat depuis 1945, Lausanne, PPUR, 2023.