Le rugissement chromatique des Fauves

Expo • La fondation sise à Martigny présente la première avant-garde du XXe siècle, école sans règle ni interdit, à travers des œuvres de Matisse, Duffy ou Rouault.

André Derain, Le phare de Collioure. (Paris Musées / Musée d'Art moderne de Paris)

es premières années du 20e siècle furent un feu d’artifice de nouvelles tendances artistiques. Le Fauvisme naît en 1905. La même année, la fondation de Die Brücke à Dresde marque les débuts de l’Expressionnisme. Avec Les Demoiselles d’Avignon de Picasso en 1907, et les « petits cubes » de Georges Braque en 1908 apparaît le Cubisme. En 1909, c’est le Futurisme en Italie. Or l’exposition de Martigny, particulièrement intelligente, dégage les similitudes, mais aussi les différences entre ces mouvements quasi contemporains.

C’est donc au Salon des indépendants à Paris en 1905 qu’un critique parle de «fauves» à propos de Matisse, Derain, Vlaminck, et d’autres, se référant à leurs «barbouillages», qui choquent le public, sauf quelques esprits ouverts tel Guillaume Apollinaire. Les artistes eux-mêmes reprennent aussitôt à leur compte ce terme de Fauvisme.

Redécouverte de l’«art nègre»  et de la Papouasie

A l’instar des autres mouvements évoqués ci-dessus, il se veut en rupture avec la tradition de l’art occidental née de la Renaissance. Il exalte les couleurs pures, éclatantes, souvent violentes. «Les couleurs deviennent des cartouches de dynamite», écrit André Derain. Le Fauvisme est une peinture païenne exaltant la joie de vivre, l’hédonisme. Voilà une différence notable avec l’Expressionnisme allemand : ce dernier contient une critique sociale violente.

Comme toute nouvelle école artistique, le Fauvisme ne naît pas de rien. Il a été marqué par des influences. Celle de Paul Signac et du «divisionnisme». Celle aussi de Gauguin qui, renonçant à la perspective, procède par aplats de couleurs. Celle enfin de Vincent van Gogh, qui avait compris la puissance expressive de la couleur. Ces premières années du siècle voient la redécouverte de «l’art nègre» et de celui de la Papouasie. La vision de statuettes africaines d’une grande modernité, dont l’exposition montre quelques exemplaires, entraîne alors l’enthousiasme des artistes novateurs.

La Fondation Gianadda nous présente tout cela, mais aussi l’apport particulier de chaque Fauve. Henri Manguin, auteur de la magnifique Femme à la Grappe, est probablement le plus sage d’entre eux. Henri Matisse, le chef de file incontesté du Fauvisme, est représenté par plusieurs œuvres. Elles témoignent autant de son goût pour les draperies que de l’attirance de cet homme du Nord pour la lumière et les couleurs intenses des rivages méditerranéens. Quant à Albert Marquet et Raoul Dufy, ils aiment la mer, les bateaux, comme le montre la toile de Dufy Les régates, mais aussi la fête du 14 Juillet, avec ses drapeaux bleu-blanc-rouge flottant au vent. Une toile de Kees van Dongen, Nu à la corbeille de fleurs, où le visage stylisé se réduit à un triangle, les yeux fardés de noir et les lèvres rouges, est très représentative du Fauvisme.

Les peintres les plus emblématiques du mouvement sont sans doute Maurice de Vlaminck et surtout André Derain, dont l’œuvre est particulièrement mise en valeur dans l’exposition, avec notamment Trois personnages assis dans l’herbe, dont les couleurs détachées de la « réalité » ont sans doute été incomprises en 1906.

Les Fauves ont aussi aimé le cirque et ses saltimbanques. C’est l’occasion de mieux connaître l’œuvre de Georges Rouault, qui a peint autant des clowns et des prostituées que des visages du Christ. Enfin, l’exposition présente quelques céramiques, beaucoup moins connues que celles se rattachant à l’Art nouveau. En bref, la présentation de la Fondation Gianadda offre un superbe panorama du Fauvisme, replacé dans la vie artistique de son époque.

Les années fauves, Fondation Pierre Gianadda, Martigny, jusqu’au 21 janvier 2024.