Mobilisation allemande contre le délabrement de l’école

Allemagne • Alerte rouge contre la politique de super-austérité que veut engager Berlin : enseignants, parents, étudiants et représentants des élèves lancent une alliance contre de nouveaux tours de vis budgétaires, alors que l’éducation est déjà frappée par le sous-investissement. (Par Bruno Odent, paru dans l’Humanité)

La colère des parents, enseignants et élèves remplit les rues allemandes. (GEW)

Ils sont professeurs, parents, membres d’associations représentatives des élèves ou des étudiants. Ils ont envahi les rues de plusieurs grandes villes allemandes, ce 23 septembre, pour dénoncer l’extension du délabrement du système éducatif public. Regroupés au sein d’une alliance de l’éducation baptisée « Pour un changement de cap maintenant », ils réclament le déblocage d’une dotation exceptionnelle de 100 milliards d’euros pour faire face au manque de professeurs et d’infrastructures.
Maike Finnern, la présidente du syndicat des enseignants GEW, qui participait à un grand rassemblement à Cologne, a dénoncé une «crise de l’éducation qui devient toujours plus aiguë». Selon l’évaluation du syndicat, des dizaines de milliers d’enseignants manquent désormais à l’appel dans les écoles. Dans les garderies, les crèches et les jardins d’enfants, ce ne sont pas moins de 300’000 éducateurs et éducatrices qui font défaut.

Mesures de super-austérité annoncées pour 2024

A l’origine de cette situation : le sous-investissement massif pratiqué depuis des années dans le système public d’éducation. Et les perspectives sont particulièrement sombres. Le gouvernement fédéral (SPD/Verts, libéraux), sous la conduite d’Olaf Scholz, a en effet décidé d’engager des mesures super-austéritaires pour l’année 2024 en clamant sa volonté de respecter à nouveau le «frein à la dette» (Schuldenbremse). Règle d’or inscrite dans la Constitution en conformité avec le pacte européen, dit de stabilité, il limite le déficit budgétaire fédéral à 0,35 % du PIB et interdit totalement aux Länder de dépenser le moindre euro au-delà de leurs rentrées fiscales. Un désastre supplémentaire annoncé pour l’éducation publique, qui est, en Allemagne, totalement sous la responsabilité des États-régions.

L’alliance «Pour un changement de cap maintenant» en appelle au déblocage de 100 milliards d’euros afin de souligner l’ampleur des retards d’investissement cumulés dans un secteur crucial, mais aussi de revendiquer la réalisation d’un effort exceptionnel qui ne saurait être imputable au calcul du déficit, donc au respect du sacro-saint « frein à la dette ».

Comme ce fut le cas lorsque Berlin a décidé d’une autre dotation exceptionnelle pour la Bundeswehr (l’armée fédérale), dont le montant, d’ores et déjà engagé, s’élève aussi précisément à… 100 milliards d’euros. « On ne voit pas au nom de quoi les dépenses pour le surarmement et la guerre seraient plus justifiées que celles pour l’éducation », souligne Inge, membre d’une association berlinoise de parents d’élèves impliquées dans l’alliance.

«Aujourd’hui, quelque 50’000 jeunes sortent du système scolaire sans aucune formation», relève Philipp Dehne, professeur, membre du syndicat GEW. Et la machine à fabriquer des injustices sociales ne peut que s’emballer en raison des nouveaux rationnements attendus. Car la péréquation pratiquée jadis entre Länder riches et pauvres est en voie d’extinction.

La riche Bavière pourrait ainsi être, à l’avenir, la seule à disposer des ressources nécessaires pour attirer suffisamment de professeurs et entretenir ses écoles publiques. Au-delà, la loi de la jungle du marché s’imposerait toujours davantage, au bénéfice des acteurs de l’éducation privée. Comme de ce côté-ci du Rhin.