Les progressistes argentins se jouent des pronostics

Argentine • En Argentine, Sergio Massa a déjoué les sondages en prenant la tête du 1er tour de l’élection présidentielle. Le représentant d’un péronisme ouvert aux négociations avec une partie de la bourgeoisie et prônant le renforcement de l’Etat face à l’ultra-libéralisme de Javier Milei a ses chances en vue du second tour.

Je vais convoquer un gouvernement d’union nationale pour construire une industrie argentine forte, face à ceux qui prônent l’ouverture économique indiscriminée et favorisent les importations », clame Sergio Massa devant une foule venue fêter sa victoire au premier tour des élections présidentielles, avec plus de 36 % des suffrages, soit environ 6 points devant son concurrent direct, l’ultra-libéral Javier Milei. Une phrase parmi d’autres qu’il a été donnée d’entendre le dimanche 22 octobre au soir au siège de campagne de l’actuel ministre de l’économie et candidat de la coalition Union por la Patria (UP), et qui atteste de la teneur des débats en cours en Argentine. Quand le candidat promet de « construire un régime du travail moderne, sans renoncer aux droits acquis des travailleurs », ses supporters entonnent en chœur : «Les syndicats sont avec Péron !» La joie n’est pas contenue, et pour cause, les primaires d’août dernier et les sondages ne laissaient pas présager d’un tel score.

Un pays au bord du gouffre

Ce scrutin s’inscrit dans un contexte épineux pour l’Argentine : l’inflation flirte avec les 140 % sur une année, près de 40 % de la population vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté et le Fonds monétaire international réclame une dette de quelque 45 milliards de dollars au pays, contractée par l’ex-président et homme d’affaires Mauricio Macri avant sa défaite dans les urnes en 2019. Celle qui portait la succession de cette droite néolibérale, Patricia Bullrich, ministre de la sécurité sous l’ère du « macrismo », connue pour la violence de sa répression des mouvements sociaux, n’a finalement obtenu que 24 % des voix sous la bannière Juntos por el Cambio.

Comme ailleurs, la crise que vit la droite dite traditionnelle a donné naissance à un monstre, du nom de Javier Milei. Ouvertement disposé à « tronçonner » les dépenses publiques et à dollariser l’économie, l’autoproclamé « anarcho-capitaliste » digne héritier de la ligne Trump-Bolsonaro était annoncé favori dans les sondages. Bien qu’il subisse finalement un revers au premier tour, son score de 30,5 % reste une percée fulgurante pour celui qui a émergé il y a seulement deux ans sur la scène politique argentine. « La radicalité de Milei ne lui a pas permis de construire au-delà de son 30 % », commente le journaliste argentin Marco Teruggi. « De son côté, l’important dispositif du péronisme s’est mis en marche pour aller chercher les voix nécessaires », ajoute-t-il. En effet, outre la crainte de voir Milei triompher, se jouaient en même temps des places au sénat et à l’Assemblée nationale. Pour l’heure, les péronistes obtiennent 42 % des députés, la droite néolibérale 36 % et les partisans de Milei, 14 % ; une disposition qui donnerait sans doute la marge de manœuvre à Massa pour conduire son projet d’Etat social, à condition de réussir à conclure les larges alliances qu’il appelle de ses voeux.

Car dans un pays aussi meurtri sur le plan économique et fracturé sur le plan politique, seul le « pragmatisme » pourrait permettre au candidat péroniste de l’emporter le 19 novembre prochain, notamment en faisant « encore plus de concessions aux secteurs de centre-droit afin d’élargir l’unité nationale » (Sergio Ferrari). « Lors du 2ème tour, nous devrons définir si nous construisons un pays pour tous, ou le pays du chacun pour soi », concluait Sergio Massa le 22 octobre devant ses partisans.