«L’écologie n’est pas intrinsèquement de gauche»

Environnement • Antoine Dubiau, doctorant en géographie à l’Université de Genève, est l’auteur de l’ouvrage à succès « Ecofascismes », récemment paru en édition augmentée. Un livre qui ouvre de nombreuses portes de réflexions pour une clarification nécessaire du discours écologique à gauche.

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Pour définir le concept d’écofascisme, vous aimez d’abord rappeler ce qu’il n’est pas au sens où vous l’entendez.

Antoine Dubiau C’est un terme fréquent dans l’espace médiatique, mais qui prend souvent la forme de l’insulte, avec l’objectif de discréditer un adversaire politique. La première trace que l’on trouve de ce concept, dans les années 1970, se trouve dans un article d’André Gorz, théoricien écologiste, et journaliste-militant. Dans la revue française Le Sauvage, son texte s’appelait Ecofascisme ou socialisme. Le terme apparaît également dans d’autres sources, comme La Gueule Ouverte, un autre mensuel écologiste important dans les années 1970, avec une orientation plus libertaire que Le Sauvage. Les définitions ici se rejoignent pour désigner l’écofascisme comme une forme d’écologie autoritaire, portée par les gouvernements en place. Une définition entérinée par Bernard Charbonneau, une figure importante du mouvement écologiste francophone, dans un livre sorti en 1981, Le feu vert : autocritique du mouvement écologiste.

Le concept n’était certainement pas encore stabilisé, et Charbonneau amène l’idée que l’écofascisme peut venir aussi bien de la droite que de la gauche, étant donné qu’il s’agit simplement une forme d’écologie autoritaire. L’utilisation du mot « fascisme » est discutable, puisque tout autoritarisme n’est pas du fascisme. Depuis, le concept d’écofascisme a énormément circulé dans l’espace médiatique, et son usage majoritaire est aujourd’hui celui d’anti-écologistes pour critiquer les écologistes dans leur globalité. Interdire les déplacements en avion ou limiter la consommation de viande sont des mesures perçues comme autoritaires, donc fascistes, donc écofascistes, car tenues par des écologistes. C’est ce que l’écofascisme, à mon sens, n’est pas.

Pour recadrer les discussions autour du terme «fascisme», dont l’utilisation est souvent approximative, vous vous appuyez sur Ugo Palheta, notamment auteur de La possibilité du fascisme, et qui propose une définition en trois axes?

Le concept de «fascisme» est très débattu en histoire, en sciences politiques et dans l’espace public. Le triptyque d’Ugo Palheta autour du fascisme comme idéologie, mouvement et régime permet de cadrer les différentes définitions du concept et surtout de les faire fonctionner ensemble, alors qu’elles ont pu fonctionner indépendamment les unes des autres. L’idéologie fasciste est ce qui constitue la doctrine fasciste, des textes qui vont définir de manière plus ou moins convergente un projet de société fasciste, dont le principal trait idéologique est la régénération d’un peuple, d’une nation, d’une race, d’une identité ou encore d’une civilisation en fonction des courants qui participent à cette sphère. Le fascisme comme mouvement concerne les organisations politiques qui vont défendre tout ou partie de ce corpus.

Le mouvement fasciste a donné lieu a bon nombre de travaux de la part de théoriciens marxistes, qui l’appréhendent souvent comme le refuge de la classe capitaliste en contexte de crise, qui va financer les organisations fascistes pour préserver leurs intérêts économiques.

La troisième dimension, la fascisme comme régime, est plutôt l’affaire des historiens et historiennes, puisqu’il s’agit de regarder les expériences fascistes passées dont les plus célèbres sont l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie. Ici, il est question de la prise de pouvoir par une mouvement fasciste et de la mise en œuvre de politiques que l’on peut rattacher à l’idéologie. A partir de ces trois dimensions, il est ensuite intéressant de voir les connexions entre chacune d’elles, afin de comprendre ce que pourrait être le fascisme au présent, sans le confiner à des expériences historiques passées qui ne se reproduiront jamais de la même manière.

Quid des liens entre corpus fasciste et écologie?

Ce que je désigne en parlant d’écofascisme n’est pas le rapport dominant à l’écologie au sein de l’extrême droite. En l’occurrence, il s’agirait plutôt du « carbo-fascisme » ou fascisme fossile, conceptualisé par le Zetkin Collective, un collectif international de chercheurs et chercheuses. Ici, il est question de s’intéresser aux liens entre l’industrie fossile et les forces politiques d’extrême droite. On voit une convergence d’intérêts entre ces groupes dans la défense des hydrocarbures, mais pas pour les mêmes raisons. Pour le capital fossile, l’important est de préserver les intérêts économiques directs dans l’exploitation des hydrocarbures. L’extrême droite, quant à elle, cherche à défendre un mode de vie occidental, plutôt adossé aux énergies fossiles. La supériorité du mode de vie occidental que défend ce groupe reposant largement sur l’exploitation des hydrocarbures et leur consommation.

Selon vous, bien que l’écologie politique soit historiquement ancrée à gauche, elle ne le serait pas intrinsèquement. C’est-à-dire?

Dans les pays francophones en tout cas, le mouvement écologiste s’est historiquement ancré à gauche de l’échiquier politique, d’abord dans le sillage de Mai 68. Cet ancrage à gauche est vrai du point de vue idéologique, des trajectoires militantes ou encore des alliances politiques des groupes écologistes. Mais on a tendance à fossiliser ce caractère historique, au point, pour la gauche, de considérer que l’écologie serait intrinsèquement de gauche, rendant impossible l’existence d’une écologie autre que de gauche. S’il est vrai que la droite et l’extrême droite ont attendu longtemps avant de s’approprier l’enjeu écologique, plus la crise écologique va s’intensifier, plus toutes les familles politiques vont se saisir du problème. C’est pourquoi je considère que l’écologie n’est jamais apolitique : c’est une question politique comme les autres. Comme elle fait partie de la réalité contemporaine, toutes les forces politiques vont y répondre. Personne ne dit que la santé publique est intrinsèquement de gauche, tout le monde s’y intéresse.

Mais les modalités de financement ou d’accès à la santé diffèrent entre les forces politiques, avec des oppositions très fortes, et la santé est un exemple parmi bien d’autres. Je ne pense pas que l’écologie dépasserait les clivages politiques. Au contraire, c’est un enjeu recodé par les familles politiques qui se l’approprient. Tout le monde n’a pas les mêmes intérêts dans la manière de répondre à cette urgence : les responsabilités dans le déclenchement de la crise écologique ne sont pas les mêmes, les impacts ne sont pas du tout subis de la même manière en fonction des stratifications sociales, et il est essentiel de prendre en compte ces inégalités. Les antagonismes sociaux en matière écologique sont si importants qu’on ne peut pas considérer l’écologie comme étant apolitique, avec un sujet écologique global qui serait «l’humain».

Dans votre livre, vous proposez deux processus concomitants qui peuvent «ouvrir à la voie à la réalisation de l’écofascisme» : l’écologisation du fascisme et la fascisation de l’écologie. Pourriez-vous revenir sur ces processus?

Ces processus en miroir sont un schéma sociologique facile, mais ma volonté ici est que ce soit parlant, afin que l’on comprenne que l’écofascisme est une reconfiguration politique globale par l’enjeu écologique.

L’écologisation du fascisme est un processus essentiellement idéologique, car principalement le fait d’idéologues clairement ancrés à l’extrême droite. Une mouvance est le principal artisan de cette écologisation du fascisme : la Nouvelle Droite. Elle existe dans le monde francophone, germanophone, mais aussi aux Pays-Bas ou encore aux Etats-Unis. Ses idéologues tentent d’actualiser le projet fasciste d’un point de vue doctrinal de différentes manières. Leur objectif n’est pas directement d’investir le champ politique, et ils vont s’appuyer sur une stratégie qu’ils appellent «méta-politique» ou encore «gramscisme de droite», se revendiquant du concept d’hégémonie culturelle d’Antonio Gramsci. Cette mouvance considère qu’avant qu’un changement dans les urnes puisse advenir, il faut diffuser un certain nombre de valeurs réactionnaires dans la société, d’où leurs activités dans la sphère culturelle avant tout, ce qui ne veut pas dire que certains de ces idéologues ne transitent pas dans la sphère politique aussi.

Le philosophe Alain de Benoist, une figure importante de cette mouvance, est sans doute le principal artisan de cette appropriation idéologique de l’enjeu écologique par la Nouvelle Droite. Alors que dans les années 1970, il reste hostile à l’idée de s’approprier cette question majoritairement appropriée par la gauche, au cours des années 1980, la conscience du fait que cet enjeu est parti pour durer et qu’ils se doivent d’en proposer une réponse politique émerge finalement au sein de cette sphère. A partir des années 1990, il y a des tentatives de développement d’une pensée écologiste réactionnaire.

La Nouvelle Droite devient ainsi capable de s’approprier certains discours vicieux de la gauche écologiste, sur le rejet de la société de consommation ou encore sur la décroissance, par exemple.

Concernant la fascisation de l’écologie, il s’agit d’observer qu’il existe, dans certains discours écologistes, des ingrédients de discours réactionnaires. Il y a une complémentarité entre les deux processus, ces ambiguïtés ayant toujours existé au sein du mouvement écologiste. Dès les années 1970, des écologistes se positionnent contre l’avortement ou tiennent des thèses racistes. Avec le processus d’écologisation du fascisme, les personnes ambiguës dans leur positionnement écologiste progressiste peuvent finir par trouver un débouché politique avec une nouvelle offre proposée, notamment par la Nouvelle Droite.

Qu’est-ce que vous évoque l’initiative dite EcoPop «Halte à la surpopulation – Oui à la préservation durable des ressources naturelles», rejetée en votation populaire en 2014. Ne serait-ce pas un cas typique de néomalthusianisme ?

Il faut définir le terme de «néomalthusianisme», que l’on croise souvent, mais qui n’est pas toujours clair. Ce serait le fait d’une inadéquation entre la croissance de la population et la disponibilité des ressources naturelles, ce qui légitimerait de réduire la population comme solution écologique. N’étant pas spécialiste de la question, je renvoie au livre Une planète trop peuplée ? de Ian Angus et Simon Butler, une très bonne ressource sur le sujet. Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont l’idée de surpopulation s’est imposée comme un registre écologiste important, comme une manière de cadrer le problème de manière quasi systématique. Je préfère donc parler de «populationnisme écologiste», comme une manière de réorienter tout cadrage de l’enjeu écologique vers la démographie.

Certes, l’enjeu écologique ne se pose pas de la même manière si l’on est 4 ou 8 milliards, il ne faut pas nier la dimension démographique du problème. Mais il faut une ligne éthique qui considère que toutes les politiques qui visent à agir sur la démographie sont très coercitives, pèsent sur les femmes et les femmes racisées en particulier. Et des travaux ont montré que la démographie est un facteur finalement assez minimal, et que ce sont davantage des facteurs d’organisation sociale qui vont compter. A 8 milliards, mais organisés complètement différemment d’un point de vue social, l’on pourrait avoir un impact écologique bien moindre en tant qu’espèce. Il faut toujours essayer de montrer que la question de la surpopulation est l’arbre qui cache la forêt, qui empêche d’interroger les autres leviers vis-à-vis de la crise écologique. Comme il est plus simple d’avoir un court raisonnement sur la démographie plutôt que de questionner le capitalisme comme mode de production, difficile de répondre à ce type d’enjeu autrement que par la politisation de la question écologique.

Dans le tout-ménage de l’UDC pour les dernières élections fédérales, on pouvait lire des slogans comme «Avant la fin du monde, vos fins de mois», ou encore celui de «Sobriété démographique». Votre avis ?

Ces slogans montrent que les partis d’extrême droite réagissent à l’enjeu écologique. Dans les deux cas, il s’agit de détourner des slogans écologistes, mais avec des finalités divergentes. « Avant la fin du monde, vos fins de mois » s’ancre clairement dans le carbo-fascisme. Ici, l’enjeu écologique serait moins important que la préservation d’un mode de vie, largement adossé aux énergies fossiles. Pour la «sobriété démographique», il s’agit de reprendre tel quel un mot d’ordre écologiste en lui donnant une coloration anti-immigrationiste. On revient sur le cadrage démographique de la crise écologique, qui ne questionne pas les autres facteurs. La Suisse est l’un des pays avec l’empreinte carbone par habitant la plus élevée au monde, et il s’agit de ne pas remettre en question ce mode de vie. Limiter l’immigration, c’est limiter l’accès d’autres personnes à ce dernier.

Dans votre livre, vous vous attaquez aux théories de l’effondrement, qu’on regroupe dans le courant de la «collapsologie». Pourquoi?

La collapsologie est un courant qui émerge en 2015, après la publication du livre Comment tout peut s’effondrer, de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, qui prédit d’ici 2030 l’effondrement la «civilisation thermo-industrielle». Ici, la civilisation serait un ensemble d’infrastructures matérielles formés de l’agriculture, du réseau de transports, des viles, etc. Tout cela serait interconnecté, et ces auteurs défendent le fait que si une partie de ce vaste complexe s’effondre, alors l’ensemble du système va s’effondrer par effet domino. Je ne suis pas en capacité d’évaluer la pertinence de ces analyses, mais on peut se questionner sur les récits politiques qui accompagnent ces thèses, puisque ces auteurs développent de tels récits dans leurs interventions. En réalité, ce sont souvent des récits dépolitisés, même s’ils se présentent comme politiques. Ils ne vont pas revenir sur la dimension conflictuelle du social.

Quand il est question de capitalisme dans les ouvrages de collapsologie, on s’en tient à la croissance et la recherche du profit, mais sans jamais parler d’exploitation, qui est pourtant la source des hiérarchies sociales. Ce courant a certes moins d’influence aujourd’hui, mais il a dangereusement nourrit une certaine angoisse civilisationnelle, certaines angoisses racistes au sein de la société, certainement de manière complètement involontaire. Parler de «civilisation thermo-industrielle» était une erreur importante, car la conception majoritaire de l’idée de civilisation dans la société n’est pas matérielle, mais culturelle, voire raciale, en tout cas identitaire. Ce sont principalement les idéologues d’extrême droite qui vont mobiliser le concept de civilisation, avec cette idée de guerre des civilisations entre l’Occident et les autres.

La diffusion d’un «effondrement de la civilisation» me semble donc dangereuse. Au delà de ça, ces théories amène un verrouillage pseudo-scientifique de cette trajectoire vers l’effondrement, sans qu’il ne soit possible de faire quoi que ce soit contre cet effondrement et qu’il faudrait l’accepter via un processus spirituel ou psychologique. Or, il faudrait plutôt défendre une ligne politique, puisqu’il est possible d’agir contre l’effondrement, en l’occurrence en s’engageant dans la lutte des classes.

Vous évoquez également «les limites de la décroissance». Quelles sont-elles?

Le terme commence assez tard à avoir une existence dans le mouvement écologiste, au milieu des années 1990, bien qu’il apparaisse en 1972, où on trouve déjà un rejet de l’idée de croissance sensée organiser la production. A cette époque-là, j’ai l’impression qu’il y a une dimension socialiste autogestionnaire forte derrière le concept, avec l’idée de se réapproprier les moyens de production pour ne plus poursuivre des objectifs de croissance. Il n’y pas encore l’idée «d’inverser le PIB» qu’on trouve par la suite chez les écologistes décroissants, idée qui ne veut pas dire grand-chose sur le processus à enclencher.

Il faudrait considérer qu’il y a des seuils écologiques à ne pas dépasser, qu’on en a déjà dépassé un certain nombre et qu’il faudrait ne pas en dépasser plus, en réduisant la production matériel. Mais il ne faut pas que cette réduction pèse sur tout le monde de manière unilatérale. D’un point de vue individuel, il faut réduire nettement la consommation de certaines franges de la société, les plus riches, qui participent le plus à l’accumulation de biens matériels. Plus globalement, le secteur du luxe, que ce soit dans l’alimentation, les produits esthétique ou encore les transports, devrait être abandonné. Tandis que d’autres secteurs devraient être préservés, comme le système de santé, dans sa forme matérielle, mais pas dans sa forme managériale qui subit une gestion néolibérale désastreuse. Il faut travailler sur la question des besoins de manière collective. Or, dans le secteur du luxe, on trouve énormément de travailleurs, dont le travail est caractérisé par un prélèvement important de plus-value.

La question de savoir comment amortir la fin de ce travail n’est pas suffisamment abordée par les théoriciens de la décroissance. Pour ce faire, il faut penser des systèmes sociaux de répartition des richesses sociaux de répartition des richesses particulièrement développés, et pas de petites politiques de compensation. C’est pourquoi j’ai tendance à parler de «décroissance communiste»: la trajectoire nécessaire est la décroissance, au sens de réduction de production matérielle dans le respect des seuils écologiques, dont la seule manière de la rendre juste est un système communiste.

Le patronat n’ayant aucun intérêt à mettre en œuvre une décroissance, il n’y a pas d’autre solution qu’une réappropriation collective des moyens de productions par les travailleurs et travailleurs. Sinon, la décroissance prendra la forme d’une récession, dont les effets négatifs pèseront sur celles et ceux qui n’ont pas la main sur la répartition des richesses. Les rapports sociaux qui structurent le mode de production capitaliste ne sont souvent pas mis en avant par les personnes qui se déclarent être «décroissants», faisant disparaître la question de l’exploitation de la force de travail.

Vous prônez un retour à des conceptions que l’on pouvait trouver chez certains auteurs dans les années 1970, comme André Gorz ou encore Murray Bookchin. Que gardez-vous de leurs théories ?

André Gorz s’intéresse à la question des besoins et à la définition collective et démocratique de ceux-ci, et de la manière de définir la production à partir de cela, avec un lien entre collectifs habitants et collectifs de travail pour définir des objectifs de production qui ne soient plus motivés par la recherche du profit, mais uniquement par la satisfaction des besoins définis collectivement. Cette définition démocratique des besoins s’oppose à la définition des besoins par la publicité dans une société capitaliste, par exemple.

Murray Bookchin a théorisé ce que l’on appelle «l’écologie sociale». Je considère que les principes qu’il a posés permettent de définir les écologies progressistes : des conceptions de l’écologie qui considèrent que la domination du non-humain est le prolongement de dominations internes à la société. Ce principe distingue les écologies émancipatrices d’autres conceptions de l’écologie, car ce postulat implique que résoudre les dominations sociales est nécessaire, mais pas suffisant, pour résoudre l’enjeu écologique. Cela permet de s’opposer aux approches qui voudraient qu’il faudrait travailler sur notre rapport à la nature en tant que société, etc. Cette dernière conception de l’écologie n’est pas matérialiste, considérant qu’il faudrait commencer par agir sur nos catégories de pensée pour transformer notre rapport au monde matériel. De mon point de vue, c’est l’inverse : c’est en transformant nos rapports sociaux que d’autres manières de conceptualiser notre rapport à la nature vont émerger.

A cette époque, ces écologistes préféraient se distinguer de la catégorie de communisme. Est-ce la faute du fameux «productivisme» ancré, selon eux, dans le communisme?

Le concept de productivisme a cette fonction de mise à distance des deux blocs qui s’opposaient durant la guerre froide. Ces marxistes hétérodoxes défendaient un socialisme non productiviste de manière explicite, mais avec des stratégie différentes dans la mise en œuvre de leurs conceptions politiques. L’idée est de dire que le communisme n’est pas intrinsèquement productiviste, mais qu’il l’a été historiquement. Cette fois, il faudrait retravailler cette distinction dans l’autre sens, pour montrer qu’il peut se développer un marxisme écologique. C’est d’ailleurs déjà le cas, à l’échelle internationale, un certain nombre de personnes s’investissent dans le développement d’un marxisme écologique, qui se traduit dans les organisations politiques, peut-être encore un peu timidement, mais la dynamique me semble bien amorcée.

Selon vous, les écologistes d’aujourd’hui devraient explicitement se rapprocher des partis communistes?

Les écologistes qui se reconnaissent dans la recherche de l’émancipation sociale, clairement. Le problème est que beaucoup d’écologistes ne sont pas toujours clairs, c’est pour cela que je suis pour qu’on engage ce processus de clarification du discours écologique. «Les écologistes» comme famille politique à part entière, c’est anachronique. Il y a eu une fenêtre de tir pour de tels partis, quand le reste de la gauche ne s’intéressait pas à l’écologie, et quand la droite et l’extrême droite non plus. Aujourd’hui, il y a une pluralisation nette de l’écologie politique, qui rend inutile le fait de se proclamer écologiste comme si les autres ne l’étaient pas. Dans beaucoup de pays occidentaux, le programme du parti vert n’est pas nécessairement plus écologique que le programme des partis de gauche radicale. Je serais donc pour défendre l’idée de ce rapprochement.

1 Antoine Dubiau, Ecofascismes, éd. Grevis, novembre 2023, 204 p.