La révolte en valait la peine

Suisse • La menace de suppression des fonds de prévention pour la campagne nationale contre la violence domestique et sexuelle prévue par la ministre des finances Karin Keller-Sutter a échoué grâce à un engagement important. (Par Laura Maiorano, paru dans Vorwaerts)

Karin Keller-Sutter voulait couper les subventions à une campagne de prévention contre les violences faites aux femmes.(OECD/Andrew Wheeler)

«Scandaleux! Keller-Sutter supprime tous les fonds destinés aux campagnes de prévention contre la violence. Pour nous, c’est clair; nous ne l’accepterons pas», ont fait savoir les Femmes socialistes fin novembre sur X (anciennement Twitter). Le Département fédéral des finances (DFF) a répliqué par son propre post: «Ce sont des fake news. Le Bureau fédéral de l’égalité continuera à disposer de trois millions de francs pour de telles campagnes». Ce à quoi la conseillère nationale (PS) Tamara Funiciello a répondu: «Ces trois millions sont prévus pour la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul et en faveur de moyens pour des organisations tierces et non pour une campagne de la Confédération, comme cela a été demandé par des motionnaires en janvier 2022».

Des mesures s’imposent

Une étude de l’institut de sondage gfs.bern révélait en 2019 (1) que, extrapolé à l’ensemble de la Suisse, un peu plus de 800’000 femmes avaient déjà été exposés à des actes sexuels non désirés. 12% des femmes interrogées disaient avoir subi un rapport sexuel contre leur volonté. En extrapolant à la population féminine totale de Suisse âgée de 16 ans et plus (environ 3,6 millions d’après l’OFS), cela correspondait à environ 430’000 femmes, soit à peu près la population de la ville de Zurich.Dans une enquête sur la violence dans les relations de couple de novembre 2021, 42 % des femmes et 24 % des hommes ont déjà subi des violences dans leur relation. A cela s’ajoute le fait qu’un féminicide est commis toutes les deux semaines en Suisse.

Sur la base de ces faits, la Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil national avait déposé une motion en janvier 2022 (2). Elle demandait au Conseil fédéral de mener régulièrement des campagnes de prévention à l’échelle nationale contre la violence domestique, sexuelle et sexiste. Celle-ci devaient couvrir différentes formes de violence et s’adresser de manière ciblée aux personnes concernées ainsi qu’aux auteurs (potentiels) de violences. Les cantons et les communes ainsi que les organisations et les services spécialisés devaient être impliqués. Objectif: contribuer ensemble à la prévention de la violence et faciliter l’accès des personnes concernées au soutien et à la protection.

Economiser au mauvais endroit

Pour des raisons juridiques, un budget supplémentaire est nécessaire pour la réalisation d’une campagne de prévention que la Confédération organise elle-même. Berset l’a déjà affirmé lors des débats parlementaires. Il faudrait «1,5 à 2 millions de francs supplémentaires», dont le montant doit être inscrit au budget fédéral. Ce dans un contexte d’austérité dramatisé par le Département des finances. La raison principale est liée à l’armée et à la guerre en Ukraine. Le Parlement a décidé d’augmenter les dépenses militaires jusqu’à 1% du produit intérieur brut, soit 9,4 milliards de francs. Le mot d’ordre de Karine Keller-Sutter est simple: économiser. Dans différents départements, «des projets, des campagnes ou des intensifications de tâches devaient être reportés» ou «redimensionnés» selon le DFF. La campagne de prévention prévue contre la violence domestique et sexuelle en faisait partie.

Campagne sauvée

La suppression des fonds de prévention du plan financier 2025-2027 a néanmoins fait sensation et pas seulement auprès de la gauche. 170 organisations ont signé une lettre ouverte au Conseil fédéral, en particulier à Karin Keller-Sutter.(3) A cela s’est ajoutée une autre pétition du PS Suisse, qui a recueilli au final 14’767 signatures. La pression a porté ses fruits: après le Conseil des Etats, le Conseil national s’est à son tour incliné le 11 décembre et a accordé 1,5 million de francs par an à la campagne de prévention. Le budget a également été sauvé grâce à l’engagement des députées Marianne Maret (le Centre) et Tamara Funiciello.

Investir 1,5 million dans la prévention est un bon début. Mais pour des campagnes efficaces, généralisées et inclusives, il faut plus d’argent. La campagne Love Life de l’OFSP (Office fédéral de la santé publique) pour la prévention du VIH peut servir de base de comparaison. Elle coûte actuellement environ deux millions de francs par an. Mais elle a démarré avec un budget bien plus élevé. Ces ressources financières sont également nécessaires pour les campagnes de prévention contre la violence!

 

(1) https://cockpit.gfsbern.ch/fr/cockpit/violence-sexuelles-en-suisse/

(2) https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20223011

et https://www.genderlaw.ch/franz/gender-law-info/projets-legislatifs/praeventionskampagne-gegen-gewalt.html

(3) https://www.brava-ngo.ch/de/politik/offener-brief-an-karin-keller-sutter